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Le roman
Posté : sam. 31 juil. 2004, 10:18
par Amaury
- JE SUIS MOI !
- Non, je suis toi, répondit la petite voix d'un ton mielleux et exaspérant. Que crois-tu ? Que tu peux encore te cacher ? Que tes médecins arriveront à dissimuler la vérité plus longtemps ? Je suis toi, que tu le veuilles ou non.
Posté : sam. 31 juil. 2004, 12:09
par gg
Machin regardait son médecin. En fait, plutôt ses médecins.
C’était la « visite » trimestrielle. L’habituelle « visite ». Comme à chaque fois on venait le chercher dans sa chambre tôt le matin. Il savait toujours quand avait lieu la « visite » parce qu’au petit déjeuner il avait droit à une pilule rose. Il ne savait toujours pas le nom de la pilule, mais il connaissait bien les effets : muscles mous. C’était sous ce signe que s’annonçait la « visite » : muscles mous.
Ensuite, plus tard, les infirmiers venaient et lui enfilaient la camisole de force. Toujours Fabien et Luc. Les deux infirmiers les plus costauds du service. Cela faisait des années maintenant que tous les trois mois, ils venaient le chercher. Il les connaissait bien. Eux aussi le connaissaient bien.
Pourtant, ils avaient encore peur de lui. Ils vérifiaient systématiquement par le vasistas qu’il était trop abruti par les médicaments pour avoir le moindre geste brusque avant d’entrer dans sa chambre. Puis ils entraient précautionneusement, silencieusement. Ils faisaient bien attention : il avait toujours un peu peur qu’il ait reçu une dose trop forte, alors ce serait Dragon qui les accueillerait.
Machin ne leur en voulait pas. Au contraire, il les plaignait. Il les comprenait. Même lui avait peur de lui. Il avait une telle force !
Des fois, il ne savait pas pourquoi, il changeait ! D’autres personnalités faisaient surface : le Dragon et l’Intello.
Quand c’était l’Intello, ce n’était pas grave. Il était gentil. Il passait son temps à s’interroger sur le monde : pourquoi le ciel est bleu ? pourquoi ça… pourquoi ci… En fait Machin aimait bien l’Intello. Surtout à l’époque où il faisait ces devoirs. Mais maintenant l’Intello n’apparaissait presque plus. La dernière fois, c’était quand il lui avait expliqué la pilule rose.
Par contre, l’autre venait plus souvent. De plus en plus souvent. A chaque fois qu’il perdait le contrôle de son esprit. Le Dragon. Et quand le Dragon venait, il devenait méchant, très méchant. Il tentait de frapper, mordre ou griffer. Tout ce qui passait à sa portée devenait sa cible. Avec les pieds, les mains, les dents, n’importe quoi.
Et s’il attrapait quelque chose, il le mangeait !
Pourtant il n’aimait pas ça. A chaque fois cela le dégoûtait, et pourtant…
Il se souvint des choses qu’il avait ingurgité par le passé : des doigts, des bouts de bras, un bout de nez.
C’est d’ailleurs pour cela qu’il se retrouvait à sa « visite » trimestrielle. A cause de ses crises de cannibalisme.
La première véritablement importante, celle qui l’avait amené ici, était déjà ancienne, des années. Tellement d’années qu’il n’arrivait plus à les compter. Il avait mangé Alain. Le plus petit du foyer.
Il n’avait pas fait exprès. Ce fut presque un concours de circonstance. Il l’avait trouvé mort au pied du mûr nord du foyer. Alain qui était sans peur avait dû tenter de monter sur le toit par la gouttière. La chute avait été mortelle.
Et quand il avait trouvé le corps, en lui Dragon prit la parole et le contrôle du corps. Il avait caché Alain dans le sous-sol du bâtiment, puis l’y avait laissé. Des jours.
L’odeur qui s’était échappée quand il était redescendu dans le sous-sol avait alerté les surveillants. Ils étaient descendus voir d’où provenait une telle odeur de charogne, inquiets par la possibilité que ce soit Alain qui avait disparu.
Ils avaient raison ! Mais ils ne s’attendaient certainement pas à trouver Machin en train de le dévorer.
Direction l’hôpital psychiatrique le plus proche.
Et depuis, sa demeure.
Et sa « visite » trimestrielle.
Cela se passait toujours de la même façon : on l’amenait dans un grand bureau blanc, on l’asseyait sur une chaise rivée au sol. Devant lui se trouvaient cinq médecins en blouse blanche derrière des tables d’écolier. Ils lisaient le rapport établi sur lui par les infirmières et les psychiatres de l’établissement, lui posaient quelques questions stupides auxquelles il avait cessé de répondre il y a longtemps. Puis, ils discutaient entre eux de son cas. Jamais discrètement, toujours comme s’il était incapable de comprendre ce qu’ils disaient. Toujours la même histoire : il était un cas de psychose dissociative matinée de paranoïa des plus intéressantes
Enfant trouvé seul dans un appartement à l’âge de cinq ans. Probablement laissé à l’abandon depuis plusieurs semaines. Il avait survécu en mangeant les deux chats de la maison. Ce qui à son âge montrait déjà une capacité physique hors de la norme.
Ensuite, mise en foyer, avec de nombreuses bagarres. C’était là bas qu’il avait pris l’habitude de s’appeler Machin. Un surnom donné par ses camarades de chambre : l’enfant trouvé dont personne ne savait le nom.
Puis mise en famille d’accueil. Pour revenir presque immédiatement en foyer : violent, suractif, agressif, dangereux pour les autres membres de la famille.
Pour finalement atterrir ici.
Depuis, cas clinique remarquable. Il était la star de l’endroit. Aucun médicament, aucun traitement, aucune psychothérapie, rien n’y faisait : il gardait en permanence cette capacité à changer de personnalité. Il faisait à la fois la joie et le désespoir de ses différents médecins. Mais de plus en plus, ils voyaient en lui un cas désespéré. Un schizophrène dangereux qui jamais ne ressortirait.
Et enfin, ils le renvoyaient dans sa chambre.
Cela ne gênait plus Machin. Il s’était fait une raison, ils avaient raison. Il était fou, complètement fou ! Un fou dangereux qui plus est.
Quasiment en permanence, il entendait des voix dans sa tête. Toujours les mêmes, qui disaient toujours la même chose. Intello répétait sans cesse qu’il fallait éviter les médicaments, cause d’abrutissements et de manque de clarté. Dragon racontait qu’il était un dragon, capable de se transformer en une énorme créature écailleuse. Qu’il n’était pas fou. Manger du cadavre faisandé était normal : il n’était pas humain.
Machin l’avait mis plusieurs fois au défi de se transformer, histoire de se persuader qu’il hallucinait. Il en avait même parlé à un médecin une fois et celui-ci avait accepté de tenter l’expérience : peut-être que quand Dragon s’apercevrait qu’il ne pouvait pas changer de forme, il disparaîtrait. Comme l’hallucination qu’il était, confrontée à la réalité. Evidemment, l’expérience rata, il n’y eut pas de métamorphose, mais Dragon continua pourtant à exister. Sans jamais cesser de prétendre qu’il était un dragon : preuve qu’il était bien fou.
Alors non ! Cela ne le gênait pas qu’on le renvoie systématiquement dans sa chambre. Il était un danger pour les autres. Pour l’instant, il n’avait tué personne, à part quelques chats et chiens dans sa jeunesse, mais dès qu’il sortirait, Machin avait peur que Dragon prenne le contrôle. Et ensuite…
Voilà, alors il attendait paisiblement sur sa chaise qu’on le renvoie.
Mais cette fois-ci, ce fut un peu différent. Un nouveau médecin faisait parti du conseil médical. Un beau et jeune médecin : le Docteur Thiebaut. Le remplaçant du docteur Hermitz qui partait à la retraite. Normalement, pour Machin, cela ne changeait rien. Les docteurs changeaient tout le temps.
Pourtant, quand le jeune médecin lui parla, ce fut différent : il ne put s’empêcher de l’écouter. Il ne comprit pas vraiment ce qu’il disait, mais sa voix était telle qu’elle vous caressait l’oreille. Qu’elle entrait en vous comme une vrille. Et ses paroles étaient douces, calmes et apaisantes. Les autres médecins écoutaient aussi. C’est la limite s’ils ne se mirent pas à applaudir à la fin.
C’était bien, c’était différent ! Cette fois-ci, quand ils le remirent dans sa chambre, Machin avait le sourire. Il aimait son nouveau médecin. Il était heureux quand le Docteur Thiebaut lui avait dit qu’il s’occuperait personnellement de son traitement. Il était différent, il était en mission pour le sauver. Pas comme les autres qui le traitaient comme un cas désespéré.
Et pour la première fois depuis longtemps, Intello parla. Malheureusement, il lui dit qu’il ne fallait pas s’emballer, un médecin reste un médecin, et ce n’était pas la première fois qu’un jeune enthousiaste arrivait pour repartir trois mois plus tard, persuadé que le cas était sans guérison possible.
Machin fut refroidi par cette remarque : Intello avait raison.
Puis, Dragon cracha son flot d’injures : bande de tarés, nous ne sommes pas fous, ce sont les autres qui sont fous. Nous sommes un dragon, nous sommes supérieurs, nul humain ne peut nous comprendre. Même pas ce nouveau médecin.
Puis Intello et Dragon commencèrent à s’insulter : arrête, il ne faut pas perdre espoir, stupide, tu es stupide, tu n’agis jamais, tu penses tout le temps, c’est ta faute si nous sommes ici, si tu te tenais plus tranquille, cela ferait belle lurette que nous serions sortis, tu ne comprends rien, ils sont notre nourriture…
Cela fut tel, que Machin dût supplier les internes pour qu’ils lui donnent un somnifère pour enfin pouvoir dormir.
Posté : mer. 11 août 2004, 19:43
par Amaury
Lumière dans la chambre. Toujours cet état cotonneux dû aux médicaments. Réalité floue qui vous assaille. Sensation d'une présence étrangère. Proche, trop proche.
Dragon essaya tout de suite de prendre le dessus mais les clamants faisaient toujours effet. Machin était toujours aux commandes.
- Vous vous souvenez de vos parents ?
Cette voix n'était pas dans sa tête. Quelqu'un était bel et bien dans la chambre.
-Parce qu'en fait, ça pourrait vraiment être utile si vous en aviez le moindre souvenir. C'est votre père ou votre mère qui s'occupait de vous ?
Paupières mis closes, il reconnut enfin la silhouette du docteur Thiebaut. Dragon et Intello furent pour une fois d'accord.
- Ne lui dis rien ! Tous les médecins, ils sont tous pareils, ils te font croire qu'ils s'intéressent vraiment à nous mais c'est pas vrai !
- C'était ma mère répondit Machin d'une voix comateuse.
Il ne savait pas pourquoi il avait dit ça. Il ne l'avait jamais dit à aucun médecin. Intello et Dragon en restèrent cois. Le docteur Thiebaut aussi d'ailleurs mais il se repris vite.
-L'endroit où vous habitiez était-il une planque ou y séjourniez-vous ? demanda-t-il de sa voix suave.
- C'était chez nous, répondit Machin.
-Alors, faites moi confiance, vous ne vous appellerez plus Machin pendant longtemps.
Posté : jeu. 30 sept. 2004, 15:03
par Miki
C très sympa ! A quand la suite les gars ?
Posté : ven. 30 sept. 2005, 11:38
par wizzer
(1 an après le dernier mesage, faut fêter le sujet...
)
- Non, non et non, docteur Thiebaut! C'est absolument exclu!
- Parfaitement! Qui plus est, ce n'est déontologiquement pas défendable!
- Je vous assure que cette nouvelle thérapie est parfaitement fiable et que je suis près à assumer tous les risques et leurs éventuelles conséquences. S'il le faut, je puis vous fournir des documents qui mettront l'hôpital à l'abri de toute répercussion juridique et....
- Mais c'est un schizoïde violent, qui a déjà montré de violentes tendances cannibales et automutilatoires...
- Je le sais. Mais je suis persuadé qu'un changement de cadre serait approprié. La reconstruction de son psychisme fragmenté...
- Mais Machin... enfin, le patient 2467, est extrêmement dangereux et...
- Voilà la preuve que l'environnement de cet établissement est psychlogiquement déstabilisant, pour ne pas dire traumatisant, pour ce malheureux. Il s'agit d'un cas flagrant d'impersonnalisation réificatrice! Exactement ce que tout bon médecin se doit d'éviter.
- Certes, mais êtes-vous certain que ce soit la bonne solution?
- Les chances de succès sont de plus de 80% dans le traitement de dédoublement de la personnalité de type "Jeckill/Hyde".
- Nous ne mettons pas en doutes vos capacités, docteur Thiebaut. Mais admettons que le conseil consente au transfert du patient, l'hôpital ne saurait se priver ni de Fabien ni de Luc.
- J'ai déjà engagé plusieurs infirmiers qui ont toute ma confiance. Voici d'ailleurs leurs références...
Bruit de pages qu'on tourne.
- Excellent, excellent.
- Bien, il me semble que tout est parfait. Si vous voulez bien nous laisser, docteur Thiebaut, le conseil va délibérer sur votre demande.
- Mais je vous en prie. Merci de m'avoir accordé tant de temps.
Le docteur Thiebaut se lève et quitte la pièce. Il a sur les lèvres le sourire de quelqu'un qui sait qu'il a réussit, comme toujours. Mais aucun de ces collègues médecins ne peut voir ce sourire...
Posté : lun. 29 mai 2006, 22:15
par Amaury
(moins d'un an, rien n'est perdu)
Le téléphone sonnait rageusement. Une main dure le saisit et le porta à une oreille irritée.
- Bonjour, c'est le docteur Thiebaut.
-
- Bonjour ! Vous vous souvenez de moi ? Je vous appelle à propos de l'aff...
- Je me souviens parfaitement de vous docteur. M'appelez vous pour me donner de bonnes nouvelles ?
- D'excellentes nouvelles, le conseil a accepté ma proposition et je vais pouvoir emmener Machin dans un cadre plus adapté à la vérité.
-
- Allo ?
- Je croyais que vous aviez de bonnes nouvelles, pas un semblant de nouvelle. A l'avenir, songez à ne plus me faire perdre mon temps pour de si minimes avancées.
- Veuillez m'excuser, je croyais...
- Cessez de croire et soyez un peu plus efficace, ma patience a des limites que vous êtes en train d'approcher dangereusement. Ne me rappelez que lorsque cette affaire aura suffisamment avancé. Est-ce clair ?
- On ne peut plus, je vous demande pardon.
- Cessez de vous excuser, le sol est suffisamment propre, je n'ai pas besoin d'une nouvelle serpillière. Au revoir
La main reposa le téléphone en le laissant hors d'usage.
Posté : jeu. 06 déc. 2007, 18:08
par gg
"C'est étrange ce matin" se dit Machin. Pour la première fois depuis longtemps, les infirmiers n'étaient pas venus vérifier que tout se passait bien. Et pas de dose de "médicament". Il y avait un drôle d'ambiance. Seulement, que faire dans une toute petite cellule capitonnée à part attendre ?
Ce n'est que peu avant l'heure du repas que Machin sentit que les choses s'activaient. Il y avait du bruit derrière la porte de sa cellule, comme si des gens discutaient hargneusement. Mais, le capitonnage transformait tellement les sons qu'il lui était impossible de savoir ce qu'il se disait.
Il n'y eut que Dragon pour lui dire que l'on parlait de lui. Comment faisait-il pour mieux entendre ? ça restait un mystère ! A croire que Dragon savait des choses sur son corps que Machin ignorait. En tout cas, ce qu'il entendait l'excitait. Cela faisait longtemps que Dragon n'avait pas été aussi vindicatif pour prendre le contrôle. A son habitude, l'Intello ne disait rien.
Finalement, la porte de la cellule s'ouvrit. Dragon fit une dernière tentative pour prendre le contrôle.
Il faillit réussir. Mais il stoppa son "attaque" dès qu'il aperçut le Docteur Thiébaut. Immédiatement, Dragon reccula dans les tréfonds de l'esprit de Machin. Machin n'arriva pas à savoir si c'était par peur ou simplement parce qu'il aimait bien le docteur Thiebaut.
En tout cas, l'homme ne parut pas effrayé par le brusque sursaut révélateur de la prise de contrôle de Dragon. Non, bien au contraire, le sourire de l'homme s'élargit. Manifestement, il avait compris ce qu'il s'était passé dans l'esprit de Machin et en semblait content.
- Alors, mon jeune ami ? dit-il. Vous semblez être en forme ce matin.
Un peu estomaqué par les brusques revirements de Dragon, Machin choisit de s'asseoir sur son lit avant de répondre.
- Heu... oui, ça va. Je n'ai pas eu mes médicaments.
- Je sais, c'est moi qui l'ait demandé. Vous allez sortir aujourd'hui. Je trouvais dommage que vous soyez complètement abruti.
- Sortir ? s'étonna machin.
- Et oui ! Tout à une fin. Ce prestigieux établissement est arrivé à ses limites avec vous. Le directeur a eu la gentillesse d'accepter votre transfert dans un... hôpital sous ma direction.
L'étonnement ne fut pas le seul sentiment qu'éprouva Machin. Il avait aussi très peur. Tant de lui-même que de changer d'endroit.
- Si vous voulez bien sortir, fit Thiebaut en lui montrant la porte. J'ose espérer que vous saurez vous contrôler. N'ayez pas peur, je suis certain que celui que vous appelez Dragon ne vous posera pas de souci.
Machin n'eut le cru qu'à moitié, il préféra intérieurement vérifier.
"Dragon ? Dragon ?" pensa-t-il. Aucune véritable réponse. Cependant, s'il restait terré, il ne semblait pas agressif. Plutôt calme en fait....
Alors Machin décida de franchir le pas de la porte. Derrière, il y avait le Directeur, Fabien et Luc qui attendaient. A l'inverse de Thiébaut, eux ne semblaient absolument pas tranquille. Ils s'écartèrent promptement pour lui laisser le passage.
- Suivez-moi, reprit Thiebaut en passant devant lui.
- Vous ne lui mettez pas de camisole ? lança le Directeur.
Thiebaut perdit son éternel sourire dents blanches.
- Mais non, vous voyez bien qu'il est parfaitement calme. Et puis tous vos " protégés" sont dans leurs cellules. Il n'y a aucun risque.
Même s'il n'était pas rassuré, Machin se sentit apaisé par le ton calme et assuré de Thiebaut. Ce qui dut aussi être le cas des trois autres, le Directeur pinça simplement les lèvres et Luc haussa les épaules.
- Allez mon petit, dit Thiébaut, il est temps... Suivez-moi.
L'homme partit dans les couloirs vides de l'hopital. Machin lui emboîta le pas.
Il ne comprenait rien, mais il avait confiance en ce médecin. Et puis en fait, au point où il en était, il n'avait à perdre à suivre cet inconnu.
Le Directeur choisit de ne pas les accompagner. En partant, il lança un péremptoire : "Surveillez-le !" à Fabien et Luc.
Re: Le roman
Posté : lun. 09 juin 2008, 21:09
par Mizu Hanayuki
Les néons des couloirs aseptisés de l'hôpital défilaient sous ses yeux. Le carrelage réfléchissait la lumière, l'aveuglant à demi. Il suivait le Docteur Thiébaut et, pour une fois, les voix en lui s'étaient tues. Les bruits de pas réguliers des deux infirmiers aux allures de rugbymen résonnaient derrière lui.
Après une succession interminable de couloirs identiques, Machin arriva enfin à la porte. Le Docteur Thiébaut ordonna dans l'interphone :
- Ouvrez la porte.
Avec un grincement, les lourdes portes grises de l'hôpital s'ouvrirent. Machin sentit que les deux gorilles derrière lui se tendaient. "Ils ont peur" lui souffla Dragon. Le Docteur se tourna vers eux, confiant, et attendit quelques instants avant de proférer un verdict définitif.
- Vous voyez, Messieurs, je vous avais bien dit qu'il n'y avait aucun risque.
Machin regarda dehors.
Une étendue d'herbe verte partait de l'entrée et venait mourir sur une clôture grillagée, surmontée de barbelés. Un énorme portail était gardé par deux hommes armés, vêtus de noir.
La porte se referma derrière eux avec un bruit de pénitencier comme Fabien et Luc, pourtant habitués, sursautaient légèrement. Le Docteur Thiébaut n'eut pas même un frémissement.
Machin tourna ses yeux vers le ciel. Quelques nuages s'effilochaient, traînant paresseusement, dans un ciel azur. Depuis combien de temps n'avait-il pas vu la lumière du jour? Il lui semblait que cela faisait une éternité. Le soleil était derrière lui, caché par l'Unité pour Malades Difficiles. Il eut peur soudain, peur que ce soit un test, peur de tuer, de manger encore.
Comme si le docteur Thiébaut avait senti son inquiétude il se tourna vers lui et lui sourit. Puis il reporta son attention sur la route avec un "ah!" de satisfaction.
Machin suivit son regard et vit une ambulance qui se dirigeait vers le portail de l'établissement. Après quelques ordres, celui-ci s'ouvrit avec un grincement, et le véhicule entra. Il freina brusquement à quelques mètres d'eux, et deux hommes sortirent en trombe de l'ambulance, lancèrent un vague "Ne vous inquiétez pas, on prend le contrôle" aux deux infirmiers stupéfaits, le prirent chacun par un bras, et s'engouffrèrent avec lui dans l'ambulance.
La dernière chose qu'il vit avant que son cerveau ne se déconnectât, ce fut le visage toujours souriant du docteur Thiébaut au-dessus de lui, lui murmurant quelque chose comme :
"Ne vous en faites pas, je suis avec vous."
Où bien était-ce "Un dragon est en vous."?
Re: Le roman
Posté : mar. 10 juin 2008, 04:20
par gg
Machin finit par reprendre conscience. Il se trouvait toujours dans l'ambulance. Au gré des cahots de la voiture, il pouvait apercevoir des poteaux électriques ou des panneaux de signalisation au travers des rideaux de l'ambulance. Il était dehors ! Vraiment dehors !
Il tenta de bouger les bras mais s'aperçut qu'il était sanglé. Il avait l'habitude... Il tira un peu sur les sangles. Ce n'était pas le modèle qui était utilisé généralement pour lui : les sangles n'étaient pas renforcées. Il fut surpris de n'être pas libre, normalement Dragon aurait dû tout casser. Sa perte de conscience ne devait pas être le fait de Dragon, mais celui de l'Intello. C'était exceptionnel, l'Intello ne prenait que très rarement le contrôle de la situation. Machin plongea au fond de son esprit fragmenté à la recherche de son alter-ego. Il fut surpris de constater que Dragon dormait paisiblement, de lui ne parvenait aucun écho.
- Tu vas bien te tenir, j'espère ? entendit-il.
- Intello ?
- Oui, c'est moi. Tout va bien. Ne t'inquiète pas, j'ai pris le contrôle car tu avais peur. Et Dragon était un peu trop excité.
La voix sereine de l'Intello avait quelque chose de rassurant, de lénifiant même.
- Où va-t-on ? demanda Machin.
- Vers Paris... d'après les panneaux indicateurs.
- Mais pourquoi ?
- Pourquoi quoi ? Il faudrait être un peu plus précis.
- Pourquoi avoir pris le contrôle ? Le docteur me parlait. Cela faisait si longtemps que tu n'avais pas fait ça. Tu m'as pris par surprise.
Dans son esprit, il exprima le regret. Il aurait tant voulu savoir ce que lui avait dit le docteur Thiebaut.
- Je l'ai fait, car tu n'es pas prêt à entendre ce qu'il te disait. Il est peut-être très intelligent, mais il ne te connait pas comme moi je te connais. Intimement, pourrait-on dire.
L'humour narquois de l'Intello, il ne l'avait plus entendu depuis longtemps. Cela fit du bien à Machin.
- Peut-on discuter ? demanda-t-il à l'Intello.
- Si tu veux. Mais je ne te parlerai pas du docteur Thiebaut. Pour l'instant, il nous sort de l'hôpital et je pense qu'il est notre ami. Je ne t'en dirais pas plus. Et parle doucement, je ne voudrais pas que Dragon se réveille. Il se mêlerait à la conversation en criant, comme à son habitude. Je crois que les mouvements de la voiture l'ont endormis.
Parler doucement... dans sa tête... c'était bien une des phrases mi-plaisanterie mi-sérieuse de l'Intello. De plus, s'il ne pouvait pas parler du docteur, de quoi pourraient-ils bien discuter ? Machin savait que sous sa douceur, l'Intello était d'acier. S'il ne voulait pas, il ne le ferait pas. En fait, il était beaucoup plus difficile d'obtenir des informations de l'Intello que de Dragon. Celui-ci s'excitait si vite que souvent il perdait le contrôle et se laissait aller à ses délires. Ce n'était jamais le cas avec l'Intello.
- Pourquoi est-ce que tu ne prenais plus le contrôle ? Je ne t'entendais presque plus. Tu me laissais tout le temps seul avec Dragon.
- Je sais, confirma l'Intello. Je m'ennuyais. On ne peut pas dire que l'hôpital est un univers très stimulant pour l'esprit.
Pour ça, il avait raison.
- Sais-tu ce qui va nous arriver ?
- Tu ne peux pas t'en empêcher, le réprimanda l'Intello. Je t'ai dis que je ne répondrais pas. Nous allons dans un autre hôpital, pas psychiatrique.
- Ne suis-je pas fou ?
L'Intello ne répondit pas immédiatement. La question le gênait, Machin sentit ses hésitations. A la limite, Machin, finissait par regretter l'absence de Dragon, ils seraient ainsi à deux contre un. Encore que... cela faisait des années que Dragon prétendait qu'il n'était pas fou. Aussi bien, celui qui se retrouverait tout seul, ce serait Machin. Ce qui serait tragicomique, l'homme qui parlait à ses deux autres personnalités, qui lui garantissaient qu'il n'était pas fou... Un comble de l'absurde !
- Si, confirma enfin l'Intello, selon les critères actuels de la médecine moderne, tu es complètement cintré. Nous allons essayer d'autres critères...
Cette fois-ci, ce fut au tour de Machin d'être pensif. Que voulait-il donc dire ? D'autres critères... que voilà une phrase bien étrange.
- ça va derrière ? demanda une voix qui venait des sièges avant de l'ambulance. Je vous entends parler.
Elle était un peu inquiète cette voix, comme si Machin pouvait subitement devenir source de problème. Malheureusement, Machin ne pouvait pas se tourner. Tout ce qu'il voyait en levant les yeux au maximum était un panneau blanc sur lequel s'appuyait sa tête.
- Très bien, répondit l'Intello en s'emparant du corps. Sommes-nous bientôt arrivés ?
- Oui, confirma la voix.
Machin n'en revint pas. Non seulement l'Intello s'emparait du corps, mais en plus il discutait avec des étrangers. Machin tenta à son tour de prendre le contrôle. Il voulait poser des questions aux hommes qui étaient devant. Il voulait savoir ce qui se passait. L'Intello résista. Dragon se réveilla.
- Lâche-moi, connard ! s'entendit hurler Machin.
- Non, répondit l'Intello. Pas maintenant, ne gâche pas tout.
- Je t'emmerde. J'ai faim.
Sans le vouloir, Machin s'aperçut qu'un de ses bras tirait sur les sangles. Dans un bruit de déchirement, elle lâcha. Les problèmes allaient commencer...'
- Prends le contrôle, lança l'Intello. Sans médicament, tu devrais y arriver.
Machin sentit que l'Intello lâchait le contrôle. C'était à lui de prendre le relais. Il fallait dominer Dragon avant qu'il ne fasse des bêtises. Il ne voulait pas retourner à l'hôpital psychiatrique. Il pensa à son second bras qui tirait à son tour sur les sangles. Petit à petit, il se focalisa sur son membre, laissant la parole à Dragon.
- Saloperie ! Lâche-moi ! Enflure... hurlait-il.
Mais Machin tint bon. Lentement, le bras se reposa doucement sur le lit.
S'apercevant que Machin prenait le dessus, et estimant que le contrôle de la parole n'était pas prioritaire, Dragon abandonna brusquement la partie. Il se retira profondément au coeur de son esprit, prêt à rejaillir à la moindre occasion.
Une tête apparut au-dessus de Machin. Ils devaient être deux à l'avant. Bien que Machin le vit à l'envers, il fut étonné par la beauté presque surnaturelle de l'homme.
- ça va ? Pas de problème ?
Il jeta un oeil inquiet sur la sangle déchirée.
- ça va, le rassura Machin qui avait enfin le contrôle de la parole. La sangle a lâché.
- Vous voulez un calmant ?
- Non, merci. Je gère la situation.
En disant cela, Machin s'étonna lui-même. C'était vrai qu'il gérait la situation. Cela faisait bien longtemps qu'un tel sentiment ne lui était pas arrivé. L'Intello le laissait faire, et Dragon qui n'était plus aidé par les calmants n'arrivait pas à prendre le dessus.
- En fait, ça va même très bien, rajouta-t-il.
L'homme regarda le sourire béât de Machin. Il eut un petit air sceptique.
- Nous arrivons, dit-il. Juste quelques minutes à attendre. Ce n'est pas le moment de nous faire une blague, alors du calme.
Alors, non seulement il avait un visage d'une beauté admirable, mais sa voix elle-aussi était agréable. Reposante. Il était sympathique cet homme.
Puis étrangement, il se mit à chantonner une berceuse. Machin ne la connaissait pas... et il n'arriva pas à suivre les paroles. Seul le rythme pénétrait ses pensées. Lentement, mais sûrement, cela s'insinuait dans son esprit. Au bout d'un temps que Machin n'arriva pas à estimer l'homme termina sa chanson. Machin se sentit calme, reposé, béât.
L'homme observa le visage de Machin, voyant son sourire heureux il en arriva à la conclusion que tout allait bien. Il repartit s'asseoir sur son siège.
- ça va derrière ? entendit Machin venant d'une autre voix.
- Ouais, c'est bon. Il a pété une sangle, j'ai préféré prendre mes précautions.
- Quand je pense qu'on est cousin...
- Tu parles, saloperie de race, j'ai grillé tout mon Mana avant que ça ne passe. Je m'y suis repris à deux fois.
- Et oui. Enfin, déjà c'est passé. Avec eux, ce n'est pas facile. On sera tranquille pour le reste du voyage.
Dans sa béatitude, Machin ne comprit rien à la discussion. Il ne savait qu'une chose, il était bien. Calme comme jamais depuis longtemps. Même Dragon ne semblait plus prêt à jaillir comme un diable de sa boîte.
Il ne savait pas pourquoi, mais maintenant, il n'avait plus peur. La simple contemplation du toit blanc au-dessus de sa tête lui suffisait.
-
Re: Le roman
Posté : mar. 10 juin 2008, 21:13
par Mizu Hanayuki
Une décélération imperceptible le fit sortir de son apathie d'amibe. Bientôt, l'ambulance quitta la route et s'avança le long d'une allée de graviers qui crissaient sous les roues. Le véhicule décéléra en douceur et s'immobilisa complètement.
"Nous sommes arrivés" annonça la voix mélodieuse.
Bruit de portes qui coulissent.
Bruissements des cailloux sous des pieds.
Chaleur du soleil sur ses jambes.
Il goûtait pleinement toutes ces sensations si longtemps oubliées.
Un visage différent du premier se pencha vers lui; peau tannée par le soleil, cheveux noir corbeau, percings aux oreilles. Deux yeux bleu vif le scrutaient. Machin se sentait cotonneux et ne le lui cacha pas. Au bout d'un temps très long, l'homme parut enfin satisfait de son examen. D'un geste sûr, il lui ôta rapidement les maigres sangles restantes. On tira le brancard hors de l'ambulance, et on le posa à même le sol.
Le soleil l'aveugla. Il était au plus haut; sûrement midi se dit Machin. Pendant un temps il ne vit que les deux paires de jambes qui l'encadraient. Ne sachant d'abord que faire, il les détailla : celui à la voix mélodieuse portait un pantalon simple mais élégant et des tennis de marque. L'autre portait des bottes militaires et un pantalon noir. Lorsque son éblouissement s'atténua, Machin redressa précautionneusement le buste, puis rassembla ses jambes pour se lever en chancelant légèrement. Les bottes s'agitaient impatiemment alors que les tennis attendaient sagement.
Re: Le roman
Posté : mer. 11 juin 2008, 00:23
par gg
- ça va ? demanda la voix mélodieuse.
Machin cligna des yeux plusieurs fois. Il leva la tête, mais le soleil l'éblouit encore. Les deux hommes étaient nimbés de lumière.
- Oui, répondit-il. Où est le docteur Thiebaut ?
- Il va arriver.
- J'espère, dit l'homme aux bottes militaires. Il a dit qu'il devait voir quelqu'un, A chaque fois, ça lui prend des heures.
Machin sentit que Dragon s'agitait. Il s'empara de la bouche par surprise.
- J'ai faim, dit-il. Filez-moi à bouffer les deux truffes.
- C'est marrant ce changement de voix, commenta platement la beauté.
Le ton était assuré, ce qui n'empêcha pas les deux hommes de prendre légèrement leurs distances. Machin put enfin les voir entièrement. La légère veste en lin blanche du bellâtre était parfaitement assorti à son pantalon. Il ressemblait à un dandy, un peu comme ces anciens joueurs de tennis qui courraient après une balle en pantalon blanc. Très différent de lui, son partenaire portait une veste de treillis sur un tee-shirt kaki. En dehors de ses percings et de ses cheveux, il ressemblait vraiment à un militaire. Il avait même un holster sur la hanche. Et la main sur le holster.
Il était étonnamment jeunes.
Subitement, Machin reconnu les deux hommes : c'étaient les deux infirmiers qui l'avaient récupéré à l'hôpital. Le fait qu'ils n'aient plus leur blouse blanche sur le dos les changeait énormément. Finalement, ils ne ressemblaient vraiment pas à des infirmiers.
Malgré la main sur le holster, ils ne parurent pas dangereux à Machin. Ils prenaient simplement leurs précautions et il leur en fut gré.
- Bon, les pédales... vous me l'apportez cette bouffe ? J'ai les crocs, moi.
Si le beau sourit, le militaire fit la grimace. Il fit même sauter la fermeture du holster.
Machin entama la lutte avec Dragon pour reprendre le contrôle de la voix. Cela se traduit par de délicieux petits couinements et des petits mouvements épileptiques de la tête.
- Oh putain ! fit le militaire en reculant et en sortant son arme.
"Non, pas de taser" lança l'autre en posant la main sur celle de son collègue. "Utilise un sort. S'il morfle, mon oncle va nous engueuler."
Le militaire porta une main à une de ses oreilles, puis la laissa retomber avec une grimace de dépit.
- T'es con, dit-il, je n'ai que de la crémation et de la séduction. S'il bouge, je l'électrocute.
Machin réussit enfin à prendre le contrôle. Il avait reçu le soutien de l'Intello.
- C'est bon, dit-il rapidement en tendant une main.
S'il ne savait pas ce qu'était un taser, il savait ce que voulait dire se faire électrocuter.
- Tu es sûr ? demanda le militaire.
- Oui, oui. Je gère.
Les deux hommes se regardèrent, puis haussèrent les épaules de concert. Machin en profita pour regarder le décor autour de lui.
Ils étaient sur le perron d'une grande demeure blanche à trois étages et autour d'eux s'étendait un grand parc ensoleillé avec des arbres partout et une grande pelouse verte. Il y avait même de belles statues blanches qui encadraient le long chemin gravillonneux par lequel la voiture était passée.
En fait, l'ensemble rappelait fortement un hôpital... sans les malades.
- Comment veux-tu qu'on t'appelle ? demanda le beau.
- Machin.
- Dragon.
Il avait réussi à s'imposer juste le temps de donner son nom.
- Machin, Dragon... ça va être pratique, commenta le militaire. C'est quoi le nom de ta troisième personnalité ? Il y a un dominant ?
Il fut surpris par les questions. Pour des hommes qui n'avaient à voir avec le milieu psychiatrique, ils semblaient parfaitement au courant de son cas.
- L'intello, répondit-il malgré tout. Dominant ?
- Oui, mon ami, y-a-t-il une personnalité qui est là plus souvent que les autres ? Je pense que je n'aimerais pas me tromper... la personnalité qui s'appelle Dragon semble assez agressive. Nous ne voudrions pas faire d'impair.
C'était bien la première fois qu'on lui parlait de sa maladie en ces termes. Ils paraissaient considérer ses autres personnalités comme des personnes à part entière et non pas comme le résultat d'une psyché fragmentée. Malheureusement, lui-même n'avait jamais envisagé sa maladie sous cet angle, il était incapable de répondre.
Aussi, il appela à l'aide l'Intello. Il laissa libre la voix dans l'espoir qu'il se manifeste pour répondre à la question du bellâtre.
- Considérez que Machin est le dominant. En tout cas, il est le plus stable d'entre-nous. Dragon n'est qu'un dégénéré qui ne pense qu'à manger.
- Enculé ! Intello de merde... toi tout ce qui t'amuse c'est de te branler les neurones. Tu n'es qu'une...
- Excusez-moi ! les coupa Machin en reprenant le contrôle. Je suis désolé... je ne les contrôle pas toujours. Je suis complètement fou, vous savez.
- Oui, bon... ce n'est pas grave. Au moins, vous avez des voix bien différentes. Cela nous facilitera les choses. Si vous le voulez bien, allons dans la maison. Mon oncle ne devrait pas tarder.
- D'accord, acquiesça-t-il.
Il se mit à avancer lentement. Seulement, alternativement, Dragon et L'Intello s'emparèrent de la voix pour continuer leur dispute. Il préféra les laisser faire pour assurer sa domination sur les jambes.
En entendant le discours étrange : "Débile, Gros tas, Je t'emmerde, Sous développé, Cannibale..." le militaire qui suivait eut un commentaire laconique : "Eh ben, on n'est pas sorti de l'auberge..."
Re: Le roman
Posté : jeu. 12 juin 2008, 21:11
par Mizu Hanayuki
Ils grimpèrent quatre à quatre les marches menant à la porte d'entrée. Celle-ci, à mille lieues des grilles de son ancien lieu de séjour, aurait pu appartenir à une demeure gothique. Le bois sombre s'imposait au visiteur, un heurtoir avec une gueule de dragon, une serrure ouvragée en argent suggéraient une certaine sobriété malgré la richesse du métal. Le playboy annonça leur présence en cognant le heurtoir contre la porte. Le bruit se répercuta dans toute la demeure, et pendant un temps rien ne bougea sur le domaine. Puis, sans bruit, la porte s'ouvrit vers un intérieur lumineux. Un dallage en forme d'échiquier brillait au sol, Un escalier central partait devant eux et se divisait en deux pour rejoindre le premier étage. Des plantes vertes en pot atténuaient la sévérité du décor et, de tous côtés partaient des portes. De grandes baies vitrées en hauteur laissaient passer un flot de lumière. Un léger bruit fit se retourner Machin : la porte d'entrée avait été refermée par un maître d'hôtel stoïque qui, manifestement, les attendait. Le flot d'injures qui continuait à se déverser de la bouche de Machin ne lui arracha même pas un haussement de sourcil. Le bellâtre prit la parole :
- Mon oncle est-il déjà arrivé?
- Pas encore Monsieur. Si ces Messieurs veulent bien me suivre jusqu'à l'antichambre, ils pourront patienter jusqu'au retour de Monsieur.
Le jeune dandy fit un signe de la main, et le maître d'hôtel pivota sur ses talons. Les trois hommes le suivirent dans les couloirs blancs jusqu'à une porte qu'il ouvrit en s'inclinant. Ils entrèrent et le maître d'hôtel referma la porte derrière eux. Ils examinèrent la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Une étagère en bois de rose accueillait quelques romans d'auteurs contemporains, un magnifique jasmin embaumait la pièce, un grand divan et des fauteuils recevaient les invités.
Le jeune bourgeois s'installa nonchalamment sur le canapé en cuir, alors que le militaire s'appropriait le premier fauteuil venu, un main toujours près de son holster. Machin resta planté là, un peu déconcerté, puis se posa dans un autre fauteuil. Le militaire renfrogné grommela à l'adresse du bellâtre :
- J'espère que ton cher oncle ne va pas nous faire patienter trop longtemps.
Ce dernier hocha les épaules et rétorqua doucement :
- Cher cousin, tu manques singulièrement de patience.
Ils attendirent dans un silence laconique.
De temps en temps, le militaire portait un regard mécontent vers la grande horloge du fond de la pièce et fronçait les sourcils. L'autre de ses surveillants avait fermé les yeux, et Machin ne savait trop s'il dormait vraiment, ou s'il faisait juste semblant.
Un coup frappé à la porte les fit se mettre en garde immédiatement.
- Entrez, dit le dandy d'une voix sûre.
Le maître d'hôtel apparut dans l'encadrement de la porte.
- Monsieur fait dire à Monsieur et ses compagnon que Monsieur est arrivé et que Monsieur attend Monsieur avec impatience. Monsieur n'a pas beaucoup de temps.
Re: Le roman
Posté : sam. 14 juin 2008, 00:16
par gg
- Parfait, clama le militaire.
Il se leva en premier. Mais le maître d'hôtel lui fit un signe d'arrêt avec la main.
- Monsieur ne souhaite voir que Monsieur. Je suis désolé, mais il vous faudra attendre dans le salon.
- Quoi ? Je dois attendre ici ? Avec l'autre débile ?
- Je le crains, Monsieur.
Le militaire resta un instant droit comme un I.
Machin l'observa à la dérobée ; manifestement, l'homme ne se contenait qu'avec difficulté. Lui-même était assez déçu de la réponse du maître d'hôtel, il espérait enfin voir le docteur Thiebaut pour avoir une explication de la situation.
Le dandy calma la situation. Il se leva et posa un bras sur l'épaule de son collègue.
- Laisse tomber, dit-il. On n'y peut rien. Je vais le voir, je ne crois pas que ça dure longtemps. Pendant ce temps, surveille l'autre et évite qu'il ne fasse des bêtises.
Le militaire lui jeta un long regard noir, mais sembla accepter de prendre son mal en patience.
- Ok. Mais vous là, dit-il en s'adressant au maître d'hôtel, vous feriez bien de m'apporter à... de nous apporter à bouffer. Et toi, fit-il en revenant au bellâtre, n'oublie pas que ta famille me paye à l'heure.
Le bellâtre sourit, il avait gagné la partie sans trop forcer.
Il se dirigea vers la sortie et en franchissant le seuil de la porte, il se retourna pour un dernier : "Et ne faites pas bêtises."
Dès qu'il disparut, le maître d'hôtel demanda : "Que souhaitez-vous comme collation ?"
- De la viande, mon gars, de la viande. Bien crue... je ne suis pas un papillon.
Le maître d'hôtel eut un petit sourire de connivence auquel Machin ne comprit rien. Il ne comprit pas plus quand il s'adressa à lui : "Et vous-même, que souhaitez-vous ?"
C'était bien la première fois qu'on lui demandait ce qu'il voulait manger. Le service dans cette maison était bien supérieur à celui auxquels il avait eu droit dans les différents hôpitaux ou familles d'accueil.
- Je ne sais pas, ce que vous voulez, ne put-il que répondre.
Nouveau sourire de connivence, mais qui lui était adressé cette fois-ci. Ce n'est pas pour ça qu'il le comprit mieux.
- Nous devrions avoir quelque chose qui vous conviendra, confirma le maître d'hôtel. Il nous arrive de recevoir des gens de votre famille.
"Ma famille ? " songea Machin. D'après ce qu'il savait, il était orphelin. Et puis, franchement : "quelque chose qui vous conviendra ", ça voulait dire quoi ?
Finalement, il n'était peut-être pas la plus folle des personnes présentes.
- Faites comme vous voulez, confirma-t-il pour ne pas vexer ce nébuleux maître d'hôtel.
L'homme sortit enfin du salon. Ne restaient que Machin et le militaire dans la pièce.
Il se tourna d'ailleurs vers lui.
- T'es vraiment qu'un larbin, lâcha-t-il avec tout le mépris possible dans la voix.
Le militaire haussa les sourcils en signe d'étonnement. Il était suffisamment surpris pour ne pas réagir.
- Je suis désolé, s'excusa Machin. J'ai perdu le contrôle un instant. Ne m'en veuillez pas.
Intérieurement, il morigéna fortement son alter-ego. Ce genre de réflexions abruptes lui avait valu de nombreuses punitions, tant dans les familles d'accueil que dans les hôpitaux. Plus souvent dans les hôpitaux d'ailleurs. Et l'homme n'avait pas l'air d'être particulièrement conciliant avec ce genre d'écart de langage. Ce qu'il confirma en s'approchant très très près de Machin. Il se pencha au-dessus de Machin qui était toujours assis, posa les mains sur les accoudoir du fauteuil et le fixa droit dans les yeux : "Ta gueule", ordonna-t-il.
Machin s'enfonça encore un peu plus dans son fauteuil. Il sentit bien que Dragon voulait répondre, mais comme l'homme restait en place, menaçant, à quelques centimètres de son visage, Machin fit tout son possible pour garder le contrôle.
Le temps passa silencieusement. Un temps long, mais long...
Puis enfin, le militaire se redressa.
- Je t'avertis. Je ne suis pas de bonne humeur. Alors tu te contrôles ou il va y avoir une boucherie. Là, tu verras si je suis vraiment un larbin. Je ne veux plus entendre un mot. Ok ?
Machin arriva à opiner du chef.
Cela parut satisfaire l'homme. Il partit s'asseoir et attendit patiemment.
Après quelques minutes de silence tendu, le maître d'hôtel réapparut.
- La collation de ces messieurs est servie. Si ces messieurs veulent bien me suivre dans la salle à manger.
Puis il ressortit de la pièce et ouvrit une autre porte du grand hall. Ils entrèrent et Machin vit la plus belle pièce de sa vie. Des boiseries faisaient le tour de la grande pièce et un immense lustre en cristal était suspendu au milieu. D'immenses fenêtres laissaient pénétrer la lumière du soleil. Il y avait de nombreuses toiles qui égaillaient l'ensemble et lui donnaient un air de solennité. Les seuls meubles présents étaient une table en bois massif entourée d'une vingtaine de chaises. A coté de l'entrée, il y avait une table roulante en acier chromée sur laquelle reposait deux immenses coupoles en argent.
Sans parler, le maître d'hôtel poussa la table roulante vers la grande table qui occupait une bonne partie de la pièce. Elle était très grande cette table. A chaque extrémité, il posa une des coupoles.
- Si ces messieurs veulent bien se donner la peine, dit-il en désignant la table.
Le militaire et Machin s'avancèrent à l'intérieur de la pièce. Le maître d'hôtel écarta une chaise de la table et s'adressa au militaire :
- Si Monsieur veut bien s'installer ici. Je me suis permis de mettre la plus grande distance possible entre les plats. Eu égard à la nourriture particulière du jeune Monsieur.
- Vous avez bien fait, confirma le militaire en s'asseyant.
Machin les regarda faire, il restait debout, à coté de la table, ne sachant que faire.
Le maître d'hôtel fit le tour de la table et vint tirer la chaise de l'autre bout.
- Si le jeune Monsieur veut bien se donner la peine.
Comprenant que l'on s'adressait à lui, Machin vint s'installer à son tour. Il fit comme s'il s'asseyait sur un nid d'épingles. Ce genre de manière lui était complètement inconnu et il se sentait assez mal à l'aise.
Le maître d'hôtel refit un tour de table pour soulever la coupole qui faisait face au militaire. Machin aperçu un énorme morceau de viande rouge. Il ne le reconnut pas, parce qu'il ne l'avait jamais vu à l'hôpital, mais c'était un gigot entier. Cru.
Ensuite, il regarda avec inquiétude le maître d'hôtel venir soulever sa propre coupole. Après ce qu'il venait de voir dans le plat d'en face, il se demanda ce qu'il pouvait bien y avoir dans le sien.
Eh bien... presque la même chose ! Sauf que la viande n'avait pas cette jolie couleur rouge. Elle était beaucoup plus foncée, presque brune par endroits. En plus, elle sentait très fort. Il voulut interpeller le maître d'hôtel, mais celui-ci à peine sa coupole soulevée, lui avait tourné le dos et sortait de la pièce.
La vue de cet amas de viande faillit lui soulever le coeur, sauf que l'odeur lui parut particulièrement attirante. Immédiatement, la salive s'accumula dans sa bouche et son estomac gargouilla. Intérieurement, il sentit aussi que Dragon s'excitait. La nourriture lui plaisait fortement, c'était très clair. Pourtant, Machin hésitait encore... Cette viande avait vraiment une couleur et une odeur étranges. Certes, il devait bien l'admettre, l'odeur était des plus tentantes... mais l'apparence... Finalement, même l'Intello se mêla à la partie. A la grande surprise de Machin, l'Intello lui-aussi semblait attendre avec impatience que le repas commence. Les deux alter-ego firent même alliance pour influencer Machin. Après une courte résistance, il accepta de saisir les couverts qui accompagnaient l'énorme assiette. S'il ne voulait pas perdre le contrôle, Machin devait se lancer. Dès que sa décision fut prise, la pression qu'exerçaient ses alter-ego cessa.
Bien ! Il restait le maître en son corps. Malgré une certaine réticence, il se coupa un bout de viande et l'inséra dans sa bouche à l'aide de la fourchette.
Et là... ce fut une explosion de saveur. Un feu d'artifice de goût. Tout son corps cria sa joie de mordre dans cette viande. Jamais, au grand jamais, il ne se souvenait d'avoir introduit dans sa bouche un met aussi délicieux. Vraiment, mais alors vraiment aucun rapport avec la nourriture fade des hôpitaux. Ni même avec celle de ses différentes familles d'accueil. C'était une véritable révélation !
Face à une telle extase, il regarda le militaire qui était à l'autre bout de la table, cherchant une explication sur un tel phénomène. Malheureusement, l'homme ne se préoccupait absolument pas de lui. Se passant de ses couverts, il plongeait vulgairement la tête dans son morceau de viande qu'il tenait avec ses mains. Ce n'était vraisemblablement pas le moment de le déranger. Machin décida alors de renouveler l'expérience, il se coupa un nouveau bout de viande.
O joie ! O plaisir étrange de la vie, ce fut la même chose : un vrai bonheur.
A partir de cette seconde bouchée, le reste n'eut plus grande importance. Pourquoi aimait-il cette viande à l'aspect et à l'odeur bizarres ? Que faisait-il ici ? Tout cela s'effaça devant le meilleur repas de sa vie.
Re: Le roman
Posté : sam. 14 juin 2008, 03:37
par gg
Au cours des évènements qui menèrent Machin à cette découverte culinaire, Julien monta à l'étage de la maison. Il ne regarda pas l'épais tapis qui recouvrait le couloir, il ne jeta pas un oeil aux multiples tableaux de maître qui égayaient les murs, ni aux quelques statuettes anciennes sur piédestal qui encadraient à intervalle régulier le tapis. Non, ce qui l'intéressait, c'était la grande porte en bois massif qui se trouvait au bout du couloir. Elle était entre-ouverte. Son oncle l'attendait.
Sans frapper, il entra.
Derrière un grand bureau de style ancien se tenait le docteur Thiebaut. Il était assis légèrement de profil et faisait face à un immense écran plat. Dès que Julien entra dans la pièce, Thiebaut reposa la souris qu'il tenait à la main et appuya sur le sommet de l'écran. Celui-ci se replia à l'intérieur du bureau dans un délicat chuintement.
- Ah, mon neveu ! Quelle histoire !
- Mon oncle.
Julien observa son aïeul. Il paraissait toujours content de lui-même, mais cette fois, il semblait prêt à exploser de contentement.
- Alors, comment se comporte notre jeune invité ?
- Bien. Il est un peu perdu, et une de ses personnalités est particulièrement agressive. En dehors de ça, il garde à peu près son calme.
- Tu imagines ? C'est un cas exceptionnel !
- Oui, oui. J'imagine très bien, confirma Julien avec réticence. J'imagine un peu moins bien ce que vous comptez faire de lui.
Pour la première fois, le visage de Thiebaut se rembrunit un peu.
- Oui, certes... moi non plus en fait. Mais décemment, je ne pouvais le laisser dans le système hospitalier. Passe pour les êtres magiques qu'il peut nous arriver d'y découvrir... mais un dragon ? Impossible !
- Ouais, c'est sûr, confirma un Julien peu convaincu. On le redirige sur un membre de sa famille ?
Il n'y eut pas l'écho attendu à la proposition, son oncle eut plutôt une moue dubitative.
- Ils sont fous, dit-il. Je ne pense pas qu'agir ainsi rendrait service à notre ami. Et même s'il semble qu'il soit incapable de se transformer devant les humains, je ne pense pas non plus qu'il faille le remettre en liberté.
Un doute traversa l'esprit de Julien.
- Vous comptez bien lui expliquer qu'il est un dragon, tout de même ? Je vous demande ça comme ça, mon oncle... ce n'est pas que son sort m'inquiète plus que ça.... mais bon....
Julien souriait, mais quelque part il s'inquiétait de la réponse de son oncle.
Surtout que celui-ci prit son temps avant de dire :
Re: Le roman
Posté : sam. 14 juin 2008, 13:41
par Mizu Hanayuki
- Pas exactement. Je pensais plutôt le laisser se découvrir, je veux voir le cheminement de sa pensée.
Le visage de Julien se décomposa, son sourire coula mais il ne fit aucun commentaire.
- Comme il vous plaira, mon oncle. Vous devez avoir vos raisons.
- Je ne te le fais pas dire. Pour l'heure, je n'ai pas l'intention de le voir directement. Installe-le dans une des chambres spéciales, et laisse-le seul.
- Et pour mon cousin?
- Mets-le dans une des chambres voisines, qu'il le surveille discrètement, mais à distance. Quant à toi, tu devras faire en sorte que cet individu ne puisse en rien deviner ce que je fais. Pour eux, j'ai officiellement quitté la maison pour une urgence médicale loin d'ici, et tant que je ne suis pas là, ils doivent suivre tes instructions.
- Euh... pour le "patient"... il s'appelle lui-même Machin, ne devrait-on pas lui donner un autre nom.
Le docteur Thiébaut resta pensif un instant puis trancha :
- Non, cela le déstabiliserait, quand il ira mieux, il se trouvera lui-même une autre appellation.
Julien s'inclina en silence.
- Maintenant, laisse-moi je te prie.
Sur un geste de sa main, Julien quitta la pièce, soupirant intérieurement.
Le docteur Thiébaut resta un moment immobile, fixant pensivement la porte par laquelle son neveu venait de disparaître. Puis il se retourna vers son bureau, déplia et alluma à nouveau l'écran plat. Sur celui-ci s'étalait l'image de Machin dégustant avec délectation son repas...