Page 6 sur 6

Re: Le roman

Posté : sam. 12 déc. 2009, 19:03
par gg
Machin fut réveillé par une main qui le secouait. Il eut un peu peur sur le moment, cela lui rappelait les évènements de la veille... Mais cette fois-ci c'était le matin et il faisait jour dans la pièce. Cela lui permit de s'apercevoir très vite que le visage qui était penché sur lui était souriant, que l'on réveillait Offman de la même façon et que la pièce était pleine de personnes.
Des personnes... enfin, à voir les différentes têtes - des chauves, des crêtes, des piercings, des tatouages, des cheveux longs et sales - on pouvait se poser la question.
- ça va ? lui demanda Offman.
- oui, je crois, répondit-il un peu inquiet.
Krane franchit la porte.
- Salut, les gars. Désolé pour hier soir.
Offman eut un geste de la main pour signifier que ce n'était pas grave, qu'il comprenait.
- Alors, on a un peu discuté avec les gars, continua Krane, et nous sommes tombés d'accord.
Puis il se tut.
Machin et Offman se regardèrent.
- Et ? lança l'Intello en prenant Machin par surprise.
- Vous êtes vraiment trop... comment dire ça sans être grossier ? Inexpérimenté, voilà, c'est bien ça : inexpérimentés ; pour qu'on vous file dans les bras d'une famille. Dans le coin, on n'aime pas trop les féeriques et les hydres.
- Je confirme, intervint celui qui se prétendait féerique.
Une sorte de petite teigne chauve avec un anneau dans le nez. Krane le tança d'un coup d'oeil.
- Alors, voilà, on vous propose un coup de main pour que Machin apprenne à se transformer, et ensuite vous déciderez vous-même de votre sort. On vous filera un coup de main quelle que soit votre décision. Du moins, si ça nous dérange pas.
Offman soupira de soulagement, Machin fut consterné.
- Heu... me transformer ? Vous entendez quoi par là ?
Finalement, plus il découvrait la vie à l'extérieure, plus il trouvait que les fous en libertés étaient plus nombreux que ceux en hôpital.
- Rien, soupira Krane. Venez en bas, il nous faut plus de place.
Il sortit, suivi par le reste de la troupe. Tout en se dirigeant hors de la pièce, les hommes discutaient entre-eux, ils plaisantaient, semblant s'attendre à vivre une bonne blague.
Après un moment d'hésitation, et un signe de la main de la part d'Offman, Machin décida de suivre le mouvement.
Ils se retrouvèrent tous au rez-de-chaussée dans une vieille salle en ruine. Ils se mirent tous en cercle, laissant Machin et Krane au milieu. Offman fut obligeamment invité à se joindre au cercle et à ne pas intervenir. Puis, ils se déshabillèrent tous, sauf Offman et Machin.
D'ailleurs, celui-ci ne comprenait rien. Pour l'instant il fonctionnait en roue libre, s'appuyant sur les regards confiants que lui lançait Offman pour éviter de paniquer.
- Transforme-toi, intima Krane à Machin.
Celui-ci le regarda, l'air totalement désemparé. Dans sa tête, il entendit des "Vas-y, connard, lopette, trouduc..." et des "Je crois il serait bon d'essayer, même si nous ne savons comment faire. Peut-être faut-il faire le vide en toi, chercher ta nature profonde..."
Machin se fia à ses voix intérieures, au point où il en était. Il essaya de faire le vide, mais la présence écrasante de Krane en face de lui était légèrement perturbante, ainsi que la nudité généralisée de tous. Quand le cercle se mit à scander un "Vas-y, vas-y..." se fut encore pire.
Deux minutes plus tard, rien n'avait bougé.
Krane fit signe de se taire. Il regarda Offman. Celui-ci avait participé avec enthousiasme, espérant que les dragons procédaient à un rituel magique quelconque pour aider son ami.
- C'est quelle personnalité la plus susceptible de se transformer ? lui demanda Krane.
Sans même avoir besoin de réfléchir Offman répondit :" Dragon, la brute".
Krane eut un grand sourire : "Parfait, je vais donc pouvoir résoudre son problème comme je résous toujours les miens."
- Comment ? s'inquiéta Offman.
- Je tape !
Il fit un superbe demi-tour et balança une énorme claque dans la tête de Machin. Il s'écroula au sol, complètement surpris et à moitié assommé.
- Ta race ! Enculé ! Je vais te bouffer, hurla Dragon en se relevant.
Le sourire de Krane s'élargit encore un peu plus : "C'est parti les gars" lança-t-il.
"Oh putain !" songea Offman. Il regarda avec effarement les corps se mettre à onduler, grossir. Des écailles apparurent sur les peaux nues. Les membres se déformaient atrocement.
Malgré cela, Dragon n'en tint pas cas ; il n'avait qu'une idée en tête : défoncer la tronche de Krane. Il se lança sur le corps en pleine transformation et se mit à le bourrer de coups.
En se voyant entouré de dragon, Offman eut un mouvement de recul. Non seulement cela était carrément effrayant, mais en plus il avait un peu peur de se faire marcher dessus dans le bordel général.
Au milieu, il vit Krane qui continuait à se transformer tout en se faisant tabasser par dragon. La créature qu'il était en train de devenir se protégeait du mieux possible, sans pouvoir répliquer.
- Enfoiré ! Salope ! J'vais te crever.
Offman fut tenté de s'interposer, mais il fut retenu par une énorme patte griffue au bout d'une membrane de peau.
- Bouge pas, lui intima une grosse tête difforme aux yeux fendus verticalement.
Bon, il n'avait pas le choix. Mais il n'eut à attendre que quelques secondes avant que tous n'aient pris leur forme draconienne. Des Wyvernes, un féerique et un Vert. Un putain de véritable enfer !
Krane frappa enfin : il mit un grand coup de tête à Dragon, ce qui l'envoya balader à terre trois mètres plus loin.
- On est des dragons, on est des dragons ! Hou hou... des dragons cria la wyvern d'une grosse voix caverneuse.
Comme en plus elle se dandinait sur ses pattes arrière, outre son aspect de chauve-souris géante, elle était tout à fait ridicule et effrayante. Pataude.
Dragon ne s'en aperçut même pas. Il se releva et fonça tête baissée.
La Wyverne l'attendit suffisamment pour la recevoir dans ses ailes, elles l'enveloppèrent et la renvoyèrent par terre.
"Allez, bon dieu, transforme-toi" pria silencieusement Offman.
Mais non, cet abruti persistait à attaquer sous forme humaine. Il se faisait frapper sans relâche, mais revenait systématiquement à la charge en hurlant des insanités. Tout ça sous les encouragements joyeux de la bande.
Quand le sang se mit à couler, Offman voulut à nouveau intervenir pour arrêter le massacre. La bête furieuse humaine était sans conteste Dragon, mais l'influence de Machin devait toujours être présente pour empêcher la métamorphose. ça ne servait à rien, il fallait calmer la sauce avant que quelqu'un ne soit blessé.
La grosse gueule bavante qui se posa sur son épaule lui fit plier les genoux. "Pas bouger. Il ne le tuera pas." dit-elle.
Les crocs de plusieurs centimètres qu'Offman put voir de près lui donnèrent une grande confiance... bon, d'accord, il ne bougerait pas.
Après un nouveau roulé-boulé dans la poussière de Dragon, une petite voix aigüe se fit entendre par dessus le brouhaha général.
- Chef, c'est un gestalt... Il le protègera à tout prix.
Offman leva les yeux, le féerique voletait au-dessus de la mêlée. Puis il redescendit son regard sur la grosse tête de wyvern au centre et qui se tournait vers lui.
"Oh merde !"
- Tenez l'hydre, lança la grosse tête.
Deux bestioles se jetèrent sur l'humain furieux et le plaquèrent au sol.
Offman vit Krane se dandiner vers lui.
- Désolé, dit la wyvern.
Impossible de savoir si c'était vrai au milieu de toutes ces écailles, impossible de lire une émotion sur ce visage reptilien. Il n'était qu'humain, il allait morfler. Pourtant, s'il fallait en passer par là pour que son ami se transforme...
Il fit un pas en avant.
- Le touche pas... le touche pas. Enfoiré, j'vais te tuer, te bouffer. J'vais répandre tes tripes, cria Dragon fermement maintenu par deux wyverns.
Offman ferma les yeux quand la grande gueule descendit vers lui. "Nom de Dieu"
Une douleur insupportable traversa son épaule. Il eut l'impression d'être pris dans un étau avec des dents. En fait, ce n'était pas qu'une impression. Il crut qu'on lui arrachait l'épaule. Il se serait bien écroulé sur place dans un hurlement de douleur, mais il ne put que hurler, la mâchoire le maintenait debout.
Dans les brumes de la douleur, il entendit : "ça y est, c'est parti !" "Relachez-le"
La pression sur son épaule cessa, pas la douleur. Quelqu'un ou quelque chose le soutint pour éviter de tomber. Il réussit à ouvrir les yeux.
Son ami se trainait par terre, son corps tressautait sur le sol, il grandissait, se déformait, faisant exploser les vêtements.
Sa peau prit une teinte gris-vert de crapaud dégueux. Des têtes se mirent à pousser au bout de trois longs cous sinueux. Elles mélangeaient baragouinements et hurlements de fureur ; pas encore suffisamment formées pour émettre des sons compréhensibles.
Tout le monde s'était écarté pour lui laisser de la place.
"Enfin", soupira de soulagement Offman.
C'est avec émotion qu'il regarda le corps trapu et énorme de son ami se mettre sur ses quatre pattes. La douleur de son épaule avait presque disparu.
L'hydre nouvelle trottina lourdement vers lui. Une tête assez grosse vint se poser sur lui avec délicatesse, celle du milieu. Même si elle ne faisait pas la taille de celles des wyvern, elle était lourde. Une autre tête dardait un regard méchant sur les autres dragons, elle pestait en même temps : "Bande de rats, espèce d'enfoirés, je vous tuerais tous." La troisième tordait son cou dans tous les sens, essayant de regarder sous tous les angles ce corps qui la portait .
- ça va ? demanda la grosse tête.
Elle avait une haleine à tuer un troupeau de bœufs. Mais même déformée par sa nouvelle apparence, Offman reconnut Machin.
- ça va, répondit-il. Tu es un dragon.
Les deux grands yeux s'élargirent de surprise. La tête se redressa, se tourna sur la droite, puis sur la gauche. Les trois têtes se tendirent pour s'écarter au maximum et elles s'observèrent. Elles ressemblaient à trois points d'interrogation.
- Salut, petite tête, dit celle de gauche à celle du milieu. Dragon, enchanté de te voir enfin.
- Formidable, dit celle de droite. ça me rappelle quelque chose, mais nous devions être très jeunes.
- Hé merde! fit celle du milieu avant de s'écrouler et pendre lamentablement entre les deux autres.
- Ce n'est rien, dit très vite l'Intello, il est juste évanoui.
- Qué lopette ! se moqua Dragon.
- A la bouffe, clama une voix joyeuse de grosse wyvern, il y a des blessés.
Offman se tourna vers la grosse tête écailleuse d'un beau vert émeraude qui le maintenait debout. "Merci" dit-il avant de tomber à son tour dans les pommes.

Re: Le roman

Posté : ven. 06 janv. 2012, 20:03
par Mizu Hanayuki
Dors subissait avec réluctance la sieste imposée par Killayana. Il n'avait pas la moindre envie de dormir; ce qui lui plaisait c'était le combat, et cette inaction forcée alors qu'ils étaient enfin arrivés à l'endroit où ils pourraient rechercher Machin couplée à son tempérament sanguin l'empêchait de se détendre. Songeant que si elle s'apercevait qu'il n'avait pas dormi, elle ne l'épargnerait pas, il se força à garder les yeux fermés plus de 10 minutes. Et finit par les rouvrir, terriblement en colère contre son cerveau qui ne trouvait rien de mieux que de lui repasser en boucle le visage de Killayana endormie dans la voiture. Et le laissant désespérément désireux de la revoir dans cet état. Après tout, raisonna-t-il, elle devait dormir à présent, quel mal y aurait-il à jeter un rapide coup d'œil dans sa chambre, et repartir, ni vu ni connu? Avant même d'avoir pu décider que non, il n'y aurait là aucun mal, ses jambes l'avaient déjà porté jusqu'à la porte de sa chambre qu'il ouvrit avec circonspection. Personne dans la salle à manger, pas un bruit : parfait. Il s'approcha à pas de loup de la porte de la jeune femme, et l'entrebâilla. Son regard fut immédiatement attiré par une silhouette allongée sur le lit. Elle était sur le côté, le drap remonté à hauteur de ses hanches qui saillaient visiblement. Un bras étendu vers la tête du lit, l'autre replié, la main coincée sous sa joue, elle avait l'air d'un chaton inoffensif.

Alors qu'il s'apprêtait à refermer la porte - du moins c'était son intention, mais il n'était pas sûr de ce qu'allaient tenter ses jambes qui semblaient préférer entrer dans la chambre - il entendit un rugissement qui n'aurait pas dû, en toute logique, pouvoir sortir d'une gorge humaine. Confus, il eut à peine le temps de se retourner qu'il était projeté à terre dans la chambre par une violente poussée. Grâce à ses bon réflexes, il put rassembler ses jambes et porter un coup à la forme qui se précipitait sur lui. Contre toute attente, au lieu d'être soufflé et projeté à son tour, son agresseur ne s'arrêta qu'une seconde avant de repartir à l'assaut, sautant par-dessus ses jambes tendues pour se retrouver sur sa poitrine, et commença à l'étrangler. Dors eut alors beaucoup de mal à comprendre pourquoi diable c'était Killayana qui tentait de le tuer, et comment elle avait bien pu l'attaquer de dos alors qu'elle était dans son lit, sous ses yeux la seconde précédente. Pour le moins confus, il se débattait comme il le pouvait face à la force incroyable de la furie qui semblait être complètement hors de contrôle. Une voix de commandement perça l'air, tranchante et d'un froid glacial que lui-même avait rarement connu dans sa Russie natale :
« Léa! »

Immédiatement, la tueuse au-dessus de lui s'immobilisa, sans toutefois desserrer son étreinte, ni enlever ses mains de la gorge meurtrie du blanc. Détachant avec une précision aigüe chaque syllabe, la voix continua :
« Tu vas le lâcher sur-le-champ. »
Comme si elles avaient été brûlées, les mains quittèrent précipitamment le cou qu'elles avaient maltraité.
« Debout. »
Le poids qui pesait sur sa poitrine disparut, et Dors put enfin se relever, pantelant. Il se retrouva alors face à une vision pour le moins étrange. Au point qu'il se demanda si on l'avait étranglé assez longtemps pour qu'il en gardât des séquelles. Ou s'il était au final resté dans son lit et qu'il rêvait. Devant lui, deux Killayana parfaitement identiques se tenaient face à face, aussi immobiles que des statues de pierre. Lorsque son cerveau put enfin procéder toutes ces informations dérangeantes, il remarqua qu'elles n'étaient pas, en fin de compte, parfaitement identiques : l'une avait un short et un simple haut couleur sable, tandis que l'autre n'était vêtue que d'un boxer et d'une brassière noire, ce qui ne manqua pas de le faire se sentir soudain très tendu et comme submergé par une vague de chaleur. Au moins, il ne voyait pas double. A bien y regarder, elles étaient aussi légèrement différentes physiquement : celle qui l'avait attaqué était plus carrée d'épaules, un peu plus grande, et avait légèrement moins de poitrine (pourquoi fallait-il qu'il remarque ce genre de détails?). Ses yeux non plus n'avaient pas exactement la même teinte, tenant plus du malachite que du jade.
«Mais qu'est-ce qui se passe ici? »
Julien venait d'entrer dans la chambre, de toute évidence réveillé par le boucan. A la vue des deux filles il s'arrêta, bouche bée, ce qui lui donnait un air plutôt stupide. Celle des deux qui l'avait attaqué cloua ses yeux dans ceux du nouveau venu et ne les lâcha plus. Killayana poussa un profond soupir, et d'un pas vif sortit de la pièce pour y revenir quelques instants plus tard, une bouteille de bière rousse à la main, qu'elle décapsula d'un coup de dent et tendit à son double. Cette dernière la porta rapidement à sa bouche et sembla perdre presque instantanément la lueur meurtrière qu'elle avait depuis son irruption.

« Je vous présente ma sœur jumelle, Léa. Ne vous inquiétez pas, elle va bien se conduire à présent. »
Killayana avait retrouvé sa voix velouté usuelle. Dors haussa un sourcil interrogateur, et tout en s'étonnant lui-même de son calme, demanda :
« - Qu'est-ce qu'elle fout là? Pourquoi elle m'a attaqué?
- Je crois que mon absence de quelques jours l'a légèrement stressée... Elle a dû croire que tu me menaçais et t'attaquer, pensant voler à mon secours. »
Peu soucieux de s'étendre sur sa propre présence dans la chambre de Killayana à ce moment-là, il se tut sous son regard perçant. Julien réussit enfin à faire sortir un son de sa bouche ouverte depuis cinq bonnes minutes :
« - Est-ce que ça signifie qu'elle va travailler avec nous?
- Normalement, je m'arrange pour qu'elle me serve de couverture sans que personne ne la voie. Mais puisque vous avez fait sa connaissance... autant qu'elle réside ici avec nous, ça m'évitera des aller-retours inutiles.
- Mais pas à l'extérieur j'imagine?
- En effet, elle prendra son poste en surveillance et soutien comme d'habitude. Il va sans dire que le premier qui mentionne à qui que ce soit y compris au Dr Thiébaut son existence verra sa durée de vie raccourcie de façon drastique et particulièrement désagréable...allez dormir tant que vous le pouvez. »
La conversation se trouva écourtée par cette déclaration, et les hommes s'empressèrent de battre en retraite hors de la chambre, dont la porte se referma assez brutalement derrière eux. Et ils entendirent bientôt l'écho d'une conversation animée quoique à voix basse.

Re: Le roman

Posté : sam. 07 janv. 2012, 01:22
par Mizu Hanayuki
Il devait être 21h et Dors ne tenait plus en place dans l'appartement. Après avoir mangé en compagnie des deux hommes, et leur avoir intimé l'ordre de s'habiller en noir et de l'attendre sagement, Killayana avait disparu un temps interminable dans sa chambre. Dors avait dû prêter une de ses chemises à Julien, qui n'avait dans sa garde-robe que des couleurs claires. Ils n'avaient pas revu sa jumelle qui était sortie depuis quelques heures. Enfin, la porte de la chambre s'ouvrit sur une Killayana habillée de la façon la plus étrange et en même temps la plus délicieuse qui fût, mêlant le charme suranné de l'époque victorienne à la modernité provocante de la fin du 20ème siècle. Un corset de cuir lie-de-vin contraignait sa poitrine à adopter la forme de deux collines parfaitement rondes entre lesquelles pendait, comme pour vous montrer le chemin, une boule tout en argent ouvragé au bout d'une chaînette. Pour éviter ledit chemin, Dors s'obligea à baisser les yeux, et tomba, pour son malheur, sur une jupe en dentelle noire bien trop courte et de longues jambes gainées de bas qui laissaient entrevoir au gré de ses mouvements des éclats de chair couleur cuisse de nymphe. Les talons de ses bottines bordeaux lui donnaient le vertige. Amusée du regard insistant de Dors, elle caressait entre ses mains gantées de dentelle noire une montre à gousset, et cachait ses yeux sous son haut de forme satiné dans lequel était glissé un Joker.
« Prêts à sortir? »
Muets, ils la suivirent dans l'escalier, Dors absorbé par la vue enchanteresse entièrement aveugle aux regards inquisiteurs que lui jetait son comparse pensif.

Si les immeubles haussmanniens de pierre blanche aux reflets d'aurore dominaient les passants de leur fierté hautaine le jour, la nuit ils se montraient plus timides, et revêtaient un habit gris souris mystérieux et cachotier. Par endroits, le gris se faisait anthracite, selon l'entretien des pierres, ce qui nuançait la ville d'un continuel dégradé du blanc le plus ivoirin au noir le plus charbonneux. Bientôt, ils entrèrent dans une partie plus ancienne de la ville, où les pavés irréguliers côtoyaient les trottoirs bancals et les maisons tassées. Killayana s'arrêta enfin devant une vitrine sale où les mots « Taverne du Graal » s'étendaient au-dessus d'un dessin de gobelet dont les vermillons et les dorés originaux s'étaient ternis jusqu'à varier entre quelques tons de bruns similaires. Poussant une porte d'entrée trouée dont la poignée avait disparu probablement de façon brutale, elle les guida à l'intérieur. Dans la lumière ambrée des chandelles, les murs de pierres couverts de tapisseries celtiques et d'écus blasonnés créaient une atmosphère occulte tout droit sortie d'un roman fantastique. Sur les tables en bois, des pintes, des dés, des cartes. Sur les bancs et les tabourets, une foule hétéroclite riait, jouait, buvait. Killayana semblait chez elle dans cet assortiment mélangeant gothique, médiéval et punk, elle tourbillonnait avec naturel de bras en bras, riant et saluant plusieurs personnes sur son passage. Les chaînes, les piques et les dagues brillaient d'un éclat froid sur les vêtements sombres. Près d'une grande cheminée châtelaine, une armure de plates montait la garde. Bravant la foule nombreuse, ils se firent une place au comptoir à côté du couvercle d'un cercueil, où leur compagne commanda une pinte d'hydromel, et leur intima de l'imiter avec l'explication lacunaire :
« Ici tout le monde boit. »

Dors prit un bon litre de bière, il sentait qu'il en aurait besoin, et Julien se contenta d'un verre d'hypocras sous le regard sardonique de son ami. Vérifiant que personne ne les écoutait, Killayana se pencha vers le barman, un homme aux longs cheveux noirs attachés en catogan, ceint d'une épée et vêtu d'un tabard rouge et blanc. Elle lui murmura :
« Je descends à la cave, ces deux-là sont avec moi. »
Il lui fit un léger signe de tête, et elle se dirigea vers un lourd rideau de velours grenat sur le côté, derrière lequel elle disparut sans les attendre. Les deux hommes échangèrent un bref regard, avant de la suivre. Derrière le rideau, un escalier étroit descendait jusqu'à une porte en bois à gauche, et un couloir à droite, qu'emprunta leur guide. Ils arrivèrent à une nouvelle salle voûtée en pierre. Il y avait un peu moins de monde en bas, dont un certain nombre de dragons, si l'on en croyait l'odeur légèrement musquée qui flottait dans l'air. La musique, du Rammstein à ce moment-là, était sensiblement plus forte, et devait sans doute couvrir tout bruit suspicieux, comme ces cris de plaisir qui parvenaient d'une porte close au fond de la salle. Sur une des tables, un jeune homme aux longs cheveux violets dansait en rythme, torse nu, et crachait du feu de temps à autre. L'atmosphère était plutôt étouffante, moite et chaude, saturée de vapeurs fuligineuses qui donnaient à la salle un air quasiment méphitique. Bien entendu, ils furent remarqués dès leur entrée dans la salle, bien que les conversations continuassent comme si de rien n'était. Une jeune fille plutôt ronde sauta dans les bras de Killayana en s'écriant « Tata! » et se mit à la tirer avec enthousiasme vers la table. On leur fit tous les trois de la place, et ils se prirent vite au jeu de dés qui avait court. Des blagues draconiques plus ou moins vaseuses fusaient entre des rugissements et des « Tout le monde boit! », couvrant la discussion que tenaient les deux filles :
« - Krane est dans les parages, demanda l'air décontractée Killayana?
- On ne l'a pas encore vu aujourd'hui, mais j'imagine qu'il ne va pas tarder.
- Laisse-moi deviner, c'est Lok qui s'amuse au fond?
- Comme si c'était dur à deviner, fit la boulotte avec un sourire sardonique.
- Combien?
- Oh, trois ou quatre... je n'ai pas bien compté.
- C'est tout? »
Leur conversation fut interrompue par le grincement de la porte qui s'ouvrit sur un homme bien bâti au sourire charmeur, vêtu en tout et pour tout d'un pantalon en cuir. Il s'immobilisa sur le seuil le temps de s'allumer une clope. Puis il se dirigea vers Killayana pour lui murmurer quelques mots inaudibles à l'oreille, sous le regard noir de Dors, avant de s'installer d'office à la table de jeu. Julien posa sa main sur celle de son ami, qui s'aperçut que ses phalanges étaient blanches tellement il serrait la poignée du couteau de combat glissé dans sa botte. C'est marrant, se dit-il, il ne se rappelait même pas d'avoir fait le geste de l'agripper. Il tenta en vain de se détendre, mais réussit tout de même à lâcher son arme.

« -Je vois que tu nous as amené des petits nouveaux, eut le culot de dire l'intrus d'un ton décontracté.
- Je vois que tu as sauté des petites nouvelles, répliqua Killayana en désignant de la tête les jeunes femmes très peu vêtues qui tentaient de sortir discrètement.
- Normal, j'ai déjà fait le tour des anciennes. Enfin de presque toutes... suggéra-t-il en laissant traîner sa voix.
- Des seules qui étaient intéressées en tout cas, répliqua-t-elle sans rougir. Bon coup, cette chair fraîche?
- Elles manquaient singulièrement de... feu, si tu vois ce que je veux dire. Les tiens, bon coup?
- Ils ne sont pas là pour ça, ce sont des partenaires professionnels.
- Dommage, j'aurais bien diversifié ce soir. »
Dors prit une belle nuance écrevisse en réalisant le sens de la proposition, mais de colère ou de gène, il n'aurait su le dire. Killayana posa une main toute légère sur son épaule, et il se retrouva incapable de se lever malgré l'obstacle insignifiant qu'elle représentait. Elle lui murmura :
« Je te déconseille de répondre à ses provocations, je tiens à mes informateurs, alors patience, même si ce n'est pas ton point fort. »
Il se força donc à se comporter comme si de rien n'était, à côté d'un Julien qui semblait un peu trop s'amuser de la situation. La musique changea, et la petite boulotte entraîna Killayana au milieu des danseurs un peu plus nombreux maintenant qui se pressaient lascivement les uns contre les autres. Dors avait de plus en plus de mal à se concentrer sur le jeu alors que son regard était attiré par le balancement gracieux et provocant du corps félin de l'énigmatique demoiselle, un corps souple comme une liane, aux mouvements sinueux et hypnotisant. Julien le fit sortir brutalement de sa rêverie en le poussant sans préavis sur la piste de danse où il tituba. Il se retrouva tout contre la jeune femme qui riait de son embarras et le frôlait, mutine. Il fut bientôt totalement absorbé par les éclats de gemme de ces yeux, des yeux d'un vert impossible, un jade très foncé avec quelques pépites mordorées, il était assez près pour les voir, mais encore un peu trop loin à son goût. Sans savoir comment, il fut soudain plus près d'elle, presque nez-à-nez. Voilà qui était mieux, mais pas encore totalement satisfaisant. Il sentait ses formes courbes pressées contre son corps et avait beaucoup, mais alors vraiment beaucoup de mal à réfléchir. Un peu comme si son cerveau surchauffait de devoir traiter tant d'informations si troublantes à la fois. Son corps lui par contre, semblait savoir ce qu'il faisait, parce qu'il accompagnait celui de sa partenaire en rythme. Comment ses mains étaient arrivées sur la fine taille, il n'en avait pas la moindre idée, mais elles étaient très bien là...
« Salut la compagnie, on a un événement à fêter, tonitrua une voix de baryton!!! »
Et soudain, elle n'était plus dans ses bras, mais en train de se diriger vers la voix, interpellant l'homme au passage « Krane! Tu tombes bien! ». Derrière lui, une palanquée de dragons. Et deux têtes connues...

Re: Le roman

Posté : ven. 02 mars 2012, 02:02
par Mizu Hanayuki
Machin s'était réveillé pour se rendre compte qu'il n'avait pas, contre toute attente, rêvé. Il était effectivement entouré de tarés, et pire encore, ces tarés se trouvaient avoir raison : il était un dragon. Si Dragon n'avait jamais eu de doute sur sa nature, et si Intello avait pris la chose avec philosophie, il n'en était pas de même pour Machin. Après avoir été persuadé toute sa vie qu'il était complètement frappé, voilà que c'était le monde qui marchait sur la tête, et lui qui avait un cerveau en parfait état de fonctionnement. Mais après avoir mangé, et s'être essayé à quelques transformations sous le regard encourageant de Franck Offman, il avait dû se rendre à l'évidence; il avait l'apparence d'un gros machin écailleux vert kaki, doté de trois têtes. Pas vraiment flatteur, mais au moins pouvait-il se réconcilier avec sa vraie nature : la viande faisandée. Lui que ça avait toujours étonné de voir les regards dégoûtés portés sur son péché mignon, et qui avait fini par se persuader que c'était malsain, pouvait désormais se laisser aller à cet orgasme gustatif sans avoir ensuite à s'infliger de séances d'auto-flagellation. Et ses sautes d'humeurs violentes n'étaient plus dues à de la psychopathie, mais seulement à l'une de ses têtes au tempérament un brin chatouilleux. Bref : il aurait dû en toute logique se sentir soulagé. Le seul petit souci, c'est qu'il ne l'était pas. Il était plutôt angoissé à mort à l'idée de devoir vivre avec d'autres comme lui. Sans compter que d'après ce qu'il avait compris (ce qui restait très limité, personne n'ayant pris la peine de lui expliquer en détails), son attachement à Franck n'était pas chose courante même parmi les dragons, et risquait de lui apporter un bon petit paquet d'emmerdes faites maison. Que du bonheur en perspective... et maintenant qu'il n'était plus fou, il allait devoir s'assumer tout seul et prendre des décisions, lui qui s'était contenté de se laisser faire toute sa vie, satisfait d'être trimballé de lieu en lieu. Il n'avait pas la moindre idée d'où commencer. Ni de ce qu'il voulait. De toute sa chienne de vie, personne ne lui avait jamais demandé son foutu avis. Il ne connaissait même pas le monde extérieur : comment pouvait-il vouloir vivre dans telle ou telle ville dont il ne savait que le nom? Machin, était-il besoin de le préciser, était perdu. Sa seule bouée de sauvetage était Franck, qui semblait plus à l'aise que lui dans cet environnement. Enfin, autant à l'aise qu'il était possible de l'être dans un squat de wyvernes punks passant la journée à se tabasser ou à boire de la bière. Voire les deux en même temps.
Krane pour sa part semblait ravi d'avoir réglé son blocage. Il les avait tous emmenés dans un bar du centre ville pour boire un coup. Machin, comme à son habitude avait suivi. Lui qui n'avait jamais touché à une goutte d'alcool s'était retrouvé avec un verre d'un litre de bière dans les mains. Et il se demandait comment il allait diable pouvoir boire autant, quand Dragon, prenant le dessus avec enthousiasme, prit une longue goulée. Machin faillit s'étouffer, mais s'habitua assez vite au goût, quelque peu excité par la nouveauté de l'expérience. Les personnes qui formaient la population du bar semblaient sorties d'un autre monde, mais Machin décida très vite qu'il était mal placé pour juger de qui méritait un internement en asile. Le temps que tous les dragons du squat fussent servis en bières et autres boissons plus ou moins alcoolisées, il balaya la salle du regard.

Une jeune femme entra, silencieuse. Ses cheveux roux aux reflets d'ambre rouge avaient une nuance tangerine flamboyante à la lueur des torches et des bougies, et, rassemblés en une haute queue de cheval, oscillaient comme un balancier suivant ses mouvements. Quelques mèches rebelles encadraient un visage un peu poupin constellé d'éphélides où perçaient deux yeux céruléens cachés derrière des lunettes rondes à monture métallique. Au contraire de la majorité des clients du lieu, elle était habillée très simplement, d'un simple long manteau de cuir ocre sur un jean élimé rentré dans des Doc Martens, et d'un gilet noir sur une chemise blanche. Elle détonnait au milieu de toute cette foule, au point que Machin se demanda si elle avait pu entrer là par hasard. Puis son regard croisa le sien un instant, mais avant qu'il ne pût céder à son impulsion première, à savoir de s'avancer vers ce feu brillant comme une gemme que l'étrangère formait toute entière, un des dragons le saisit par l'avant-bras, et le guida derrière un rideau, dans un escalier en colimaçon, le long d'un couloir, et en un clin d'œil, désorienté, il se retrouva dans une autre salle, où de nombreux danseurs se pressaient les uns contre les autres dans une ambiance saturée de fumée. Il ne prêta pas la moindre attention au beuglement du meneur de la bande de wyvernes, mais le timbre mélodieux qui résonna en réponse comme un carillon lui rappela quelque chose :
« - Krane! Tu tombes bien! »
Dans un état second, il vit Killayana sauter dans les bras de Krane qui la fit tournoyer en l'air comme une gamine de dix ans. Puis ils s'engagèrent dans une discussion animée et joyeuse, absolument oublieux de Machin et de Franck qui s'étaient immobilisés face à un Julien et un Dors tout aussi étonnés qu'eux. Une seconde s'écoula avec une lenteur surnaturelle, une seconde où le temps leur parut à tous figé. Ils avaient tous les quatre une conscience aiguë qu'à ce stade, le moindre mauvais geste pouvait dégénérer à la vitesse de la lumière. Et tout ce à quoi put penser Machin à ce moment ô combien crucial pour le déroulement des évènements à venir était : « Déjà? ».
Curieusement, ce ne fut pas Dors qui mit le feu au poudre. Contrairement à son habitude il avait décidé d'attendre un peu avant de cogner, ce qui était une première pour lui. Non, ce fut Julien qui déclencha l'Apocalypse. Il eut l'idée fort peu diplomatique de poser sa main sur le bras de Franck Offman en disant :
« - Assez joué, vous rentrez avec nous maintenant! ».
Dragon choisit ce moment si opportun entre tous pour prendre le contrôle, dans un élan protecteur, et coller son poing dans la belle gueule d'ange du doré. Dors, pour qui tout cela était vraiment trop tentant, se jeta sur Dragon. Et les wyvernes qui encadraient leurs invités, ne voulant pas être en reste, s'attaquèrent au blanc. En une seconde, une mêlée totalement chaotique avait remplacé une situation certes tendue, mais encore relativement civilisée. La baston n'aurait sans doute pas pu être évitée étant donné le caractère des personnes en présence, mais qu'elle eût démarré aussi promptement était affligeant, se dit Killayana lorsqu'elle prit la mesure du désordre qui régnait. D'un entrelacs confus de corps émergeait parfois un bras ou une jambe, souvent égratigné, avant de replonger dans les profondeurs de cette mer humaine pour quelque attaque. Elle échangea un bref coup d'œil avec Krane, qui pour sa part semblait partagé entre le rire et la colère. Quant à elle, elle avait clairement choisi de quel côté elle penchait. Elle emplit ses poumons de plusieurs litres d'air, mais avant qu'un quelconque son pût sortir de ses lèvres, les lumières s'éteignirent et la musique s'arrêta. Le noir soudain provoqua quelques cris de surprise, ça et là dans la pièce.
Une petite voix demanda :
« - Vous pourriez arrêter maintenant, je vous prie? »
La lumière réapparut tout aussi soudainement, et Killayana put embrasser du regard l'incongru spectacle : Franck était à terre, avec Julien à califourchon sur lui, le poing en l'air, ses cheveux d'or d'habitude si ordonnés en bataille. Sur ses épaules se tenait Machin qui avait refermé ses mains sur le cou délicat du dandy. Dors emprisonnait d'une clef de bras l'une des wyvernes, son autre main en l'air était en train d'écarter un coup de poing d'un autre punk, mais son pied était lui-même immobilisé en pleine frappe au niveau du ventre par le troisième dragon qu'il visait. Plusieurs autres membres du groupe de Krane se trouvaient éparpillés autour, dans diverses positions qu'il serait trop long de décrire ici. Tous se regardaient indécis. A côté de l'interrupteur; une jeune rousse que Machin regardait avec insistance. Elle rougit, comme gênée.
« - Vous m'ôtez les mots de la bouche, ma chère, même si à votre place j'aurais sans doute utilisé un langage plus … véhément, lui fit Killayana, un sourcil haussé, ironique. »
Puis elle se dirigea posément vers Julien, qu'elle gifla. Le son de sa main sur la joue du blond résonna douloureusement dans la pièce toujours silencieuse.
« - Si ce n'est pas trop vous déranger, vous pourriez peut-être arrêter de faire l'enfant et faire montre d'un minimum d'intelligence, pour une fois. »
Elle fit un signe de main et tous les participants à la bagarre se lâchèrent et se redressèrent, aussi gênés les uns que les autres. Avec un soupir, elle se retourna vers Krane, et lui demanda :
« - Comment veux-tu qu'on règle ça?
- A l'ancienne... répondit-il avec un sourire plein de sous-entendus.
- L'enjeu?
- Tu le connais déjà. »
Après cet échange cryptique, tout le monde se dirigea en haut, guidés par Krane et Killayana. Les quatre nouveaux suivirent sans comprendre, ainsi que la jeune inconnue, dont personne ne semblait savoir au juste ce qu'elle faisait là. Ils sortirent du bar, et allèrent jusqu'à un petit square où quelques jeux d'enfants se dressaient, solitaires, entourés d'une barrière d'une mètre de hauteur, entre trois immeubles de pierre et la rue pavée. Killayana se défit de son haut de forme, qu'elle confia à Dors et entra à la suite de Krane, sautant au-dessus de la barrière plutôt que d'ouvrir le portillon. Les autres dragons s'installèrent, accoudés à la barrière.
Et le spectacle commença.
Krane lança un coup de poing fulgurant vers la jeune fille, qui se décala de quelques centimètres et l'évita sans pour autant altérer sa posture. Elle répliqua par une balayette rotative au-dessus de laquelle il sauta sans effort apparent. Pour l'instant, les deux combattants prenaient leur temps entre chaque échange, cherchant une faille, et profitant de la présence d'une audience pour placer des techniques plus spectaculaires que mortelles. Confrontée à une manchette, Killayana se retourna dans une pirouette, prit le bras de Krane, et se cambrant à l'extrême dans une bascule en avant tout à fait gracieuse, réussit à toucher de son pied l'arrière du crâne de l'homme. C'était le premier coup du combat à porter. Mais il ne se laissa pas démonter et posant sa main sur celle qui lui serrait encore le bras, il l'entraîna avec lui, mettant un genoux à terre pour l'amener à chuter. Elle, plutôt que de tomber, vint poser ses deux mains sur ses épaules pour faire une roue par-dessus lui, et atterrit de l'autre côté. Ils s'étaient lâchés et se retrouvèrent à nouveau face à face en un clin d'œil. Ils eurent un sourire complice : clairement, ils s'amusaient comme des petits fous. A la vitesse de l'éclair, Killayana projeta son pied vers le visage de Krane, mais celui-ci réussit à s'en saisir et le tira vers le haut. Elle se baissa alors et se mit brièvement à marcher sur les mains, le temps de porter un coup de son pied libre sur le bras qui la tenait, se libérant ainsi. Puis elle se ramassa sur le sol et glissa entre les jambes ouvertes de son adversaire pour se retrouver dans son dos. La manœuvre n'avait duré que quelques secondes, mais Krane, pas du tout surpris, se retourna à temps pour éviter un autre coup de pied administré du bas vers le haut comme elle se relevait, les bras prenant appui sur terre, une jambe tendue vers le ciel. Prenant l'initiative, il enchaîna une série de coups de poings, de pieds, et de balayettes, qu'elle évitait à chaque fois tout en souplesse, sautant et roulant à terre, se courbant et parant lorsque nécessaire. Il réussit presque à la toucher. Mais il ne fit que la frôler. A son tour, elle lui porta une série de coups de pieds et de manchettes pirouettant comme une ballerine. Elle prit soudain appui sur le genou de Krane et réussit à le toucher au visage, ce qui le laissa désorienté suffisamment longtemps pour qu'elle pût le faire basculer en arrière en virevoltant autour de son cou. Elle retomba sur ses pattes, un genou sur le torse de Krane, l'autre jambe étirée sur le côté, les bras ramassés comme pour bondir.
Des ongles griffus trouvèrent la gorge du dragon, qui s'avoua vaincu en riant.
C'était la première fois qu'il la voyait se battre, se disait Dors, et il était étonné par sa légèreté de danseuse. Chaque mouvement, en apparence destiné à charmer les spectateurs, avait un but tout à fait pragmatique : faire le plus mal possible. Son style, bien qu'élégant, était surtout très efficace, et son corps entier bougeait à chaque instant, dans une succession de gestes fluides et ronds qui semblaient sans fin. Rien de tendu, rien de nerveux dans son corps souple et décontracté. A la seconde du contact seulement on devinait la puissance qu'elle infusait dans ses frappes.
Pendant que Dors, en combattant entraîné, analysait tout ce qu'il avait vu, les wyvernes se pressaient autour de Krane et Killayana, commentaient allègrement le combat entre deux blagues. Au milieu de tout ça, Machin, Franck, Julien et l'inconnue se regardaient un peu perdus, se demandant ce que la victoire de Killayana pouvait bien impliquer.

Re: Le roman

Posté : mar. 13 mars 2012, 11:59
par Torquemada
La suite ! La suite ! :D

Re: Le roman

Posté : jeu. 24 déc. 2015, 02:45
par gg
- Bonjour, belle inconnue, démarra Lucien tout en sortant son sourire le plus charmeur, comprenez-vous de quoi il retourne ?
La demoiselle pencha la tête de côté et lui rendit son sourire :
- Je crois qu’ils viennent de définir qui aurait le dernier mot dans une discussion future.
- Ah ! Lucien, dit-il en se désignant de la main.
- Sophie.
Machin et Franck voyant qu’une discussion venait de s’engager – avec quelqu’un qui semblait un peu mieux comprendre la situation qu’eux – se rapprochèrent pour participer.
- Quelle discussion ? demanda Franck.
La jeune dame lui sourit.
- Comment pourrais-je le savoir ? Il me semble que c’est ce monsieur et ce monsieur qui ont commencé la bagarre, dit-elle en désignant Lucien et Machin. Il est probable que vous soyez plus au courant que moi. Peut-être serait-il temps de retourner au bar et s’asseoir pour avoir une petite conversation ?
- Ça va ? intervint Dors qui venait se mêler. C’est qui la donzelle ?
- La donzelle ? s’exclama la voix de Dragon. Parle meilleur enculé de fils de bâtard de ta race. Autrement je te défonce la tronche.
Tout le monde le regarda d’un air ahuri et surpris. Même Dors ne réagit pas au quart de tour.
- Hé bien alors ? fit la demoiselle. Merci. C’est gentil. Un peu virulent, mais gentil.
- Je m’excuse. Vraiment je suis désolé. Dors, Sophie, je ne sais pas ce qu’il lui a pris.
« Je t’emmerde ! » cria Dragon dans la tête de Machin. « T’as vu comment il lui parle ? ». « D’accord, on se calme » lui intima Machin. « On se calme ! »
- Dis voir – c’était Dors qui s’adressait à lui – le boulet, la prochaine que ton alter ego me parle comme ça, je te défonce.
A côté, Lucien leva les yeux au ciel : « Et c’est reparti pour un tour. »
- Mais non, le contredit Sophie. Retournons tranquillement au bar. Au fait, je suis Sophie, continua-t-elle en s’adressant à Dors. Une fois que j’aurais parlé a Killayana et Krane tout s’expliquera. Sur ce, je m’excuse, il faut que j’aille les voir.
Sur un sourire, elle quitta le groupe pour plonger au milieu de la meute qui entourait Killayana et Krane.
- Elle est sympa, commenta Franck.
- Mignonne, enchérit Lucien.
- Bande de pignoufs, se désespéra Dors.
Machin ne dit rien. Mais dans sa tête une vive discussion silencieuse avait lieu entre Dragon et Machin.
Quelques instant plus tard, tout le monde était retourné à la taverne. Mais au lieu de s’asseoir avec l’ensemble des participants, Sophie demanda à notre petit groupe de bien vouloir l’accompagner à l’étage.
Comme Killayana et Krane semblaient parfaitement au courant de ce qu’il se passait et commençaient déjà à monter les escaliers, le reste du groupe suivi le mouvement.
Ils entrèrent dans un grand bureau. Sobre, un grand bureau en bois avec un ordinateur dessus, quatre fauteuils devant et un canapé sur le côté. Les murs étaient recouvert de tentures en velours lie-de-vin et une assez grosse fontaine murale glougoutait entre les deux grandes fenêtres derrière le bureau.
Sophie alla s’asseoir derrière le bureau et fit signe de prendre place.
Sans se concerter, Killayana et Krane choisir de s’installer dans les deux fauteuils en face, Lucien prit un de ceux qui se trouvaient sur le côté, Dors – après avoir un peu fait la grimace d’être relégué d’office au second rang - s’empara de l’autre côté. Machin et Franck, après un échange de regard allèrent s’installer sur le canapé. De toute manière, comme ils ne comprenaient rien…
- Bien ! entama Sophie. Comme certains ici ne sont pas au courant de nos habitudes, je vais éclairer vos lanternes. Cela convient-il à tout le monde ?
Il n’y eu aucune objection, hormis Lucien qui leva la main.
Elle lui sourit et eut un petit acquiescement de la tête.
- Bon, j’imagine que vous êtes la propriétaire.
- Brillante déduction.
- Heu… oui, je sais. Parfois, les traits de génie… Enfin, si ce n’est pas trop indiscret, en dehors de cela et vu votre jeune âge, je suis assez interpellé. Quelle est votre famille ? Votre statut ?
En face de lui, Krane fit les gros yeux, accompagné de Dors. En revanche Killayana eut un sourire moqueur.
- Mon statut ? Disons que dans la région je suis une sorte de conciliatrice. J’arrondis les angles. La taverne est un lieu de paix – normalement. Autrement, je suis une mère dorée. A mon avis, vous êtes de mes neveux. Et ne vous fiez pas à mon apparence, malgré votre flatterie, je suis beaucoup plus âgée que ne le laisse penser mon apparence. Les avantages familiaux…
- Putain, c’est une invasion, marmonna tout bas Dors sur sa chaise en baissant la tête.
Ce qui n’empêcha pas Krane de se retourner vers lui. Et d’un ton un peu nerveux : « Qui t’es toi ? Un peu de respect, connard ! »
- J’te merde, abruti.
- Oh hé, intervint Killayana d’une voix douce. Je sais que tous les deux vous aimez jouer les imbéciles brutaux, incultes et sans manière, et cela m’amuse… mais ce n’est pas l’endroit pour ça. Arrêtez les enfantillages.
La remontrance était douce, mais les deux hommes se mirent à regarder leurs pieds qui se tortillaient de gêne comme des enfants.
- Veuillez les excuser, demanda Killayana à Sophie. Vous savez, une wyvern et un blanc dans une même pièce… Surtout quand ils sont aussi caricaturaux que ces deux là…
Sophie sourit… et la pièce sembla s’éclairer de la lueur de l’aube.
De leur côté, Machin et Franck se regardèrent. Spectateurs muets et ébahis.
- Tu comprends quelque chose ? demanda Machin.
- Que dalle, confirma Franck.
- Vous assistez à une interaction sociale qui semble répondre à de nombreux codes. Codes régis par des liens familiaux, ou draconiens dans le cas présent. N’étant pas au fait de ces codes particuliers, beaucoup de choses nous échappent, mais c’est normal, intervint l’intello en prenant la parole.
Franck le regarda bêtement : « Merci. »
Puis ils s’aperçurent que tous les autres les regardaient. Machin fit un petit signe de main contrit.
- Au moins, il semble que nous ayons là-bas une hydre, remarqua Sophie toujours souriante. Le jeune homme à ses côtés ?
- Un connard, soupira Dors.
- Indéfini, précisa Killayana. Un tout nouveau gestalt.
- Un gestalt… hum… je vois.
Lucien releva la main.
- Vous pouvez vous abstenir, jeune homme. Je ne suis pas si conservatrice que cela. Ni institutrice.
- Vous êtes bien sûr de ne pas être une féerique ?
Pour le coup, il réussit à surprendre tout le monde.
- Oui… répondit Sophie après un instant. Pourrais-je savoir d’où proviennent vos doutes ?
- C'est-à-dire que, bon, j’ai un peu entendu parler de votre établissement dans ma famille, je croyais que vous étiez féerique. En bien, je vous rassure. Pas précisément, disons que dans ma… filière, je me tiens au courant de toutes les têtes ayant un peu d’importance. J’ai une assez bonne connaissance du réseau familial. Sans vouloir vous offenser.
Il finit en faisant une petite grimace.
- Je suis une sorte de rebelle.
- D’autant plus. Et il accentua la grimace gênée.
- Ecoutez… je suis désolée. Je ne vais pas me transformer sous vous yeux pour vous faire plaisir. Certains ici me connaissent depuis longtemps et m’accordent une relative confiance – Krane et Killaya acquiescèrent. Est-ce vraiment important ?
- On s’en fout royalement, bon dieu ! intervint alors Dors en soupirant. Je ne sais même pas ce qu’on fout ici. Alors s’il vous plait, on papote, on se raconte les potins familiaux, on se met d’accord, on récupère le bébé avec l’eau du bain et on se barre. Lucien. Killayana lui fait confiance, j’ai confiance en Killayana – il parut même surpris de dire cela sans s’en rendre compte, elle lui lança juste une œillade de travers. Peux-tu abréger ?
- Soit, capitula Lucien. Pas de souci. Je ne faisais que parler famille, sans autre animosité.
- Parfait, soupira Dors. Bon, avant tout je tiens à vous remercier pour votre accueil et j’aimerais si possible qu’on ne tarde pas trop.
Puis, il fouilla dans sa veste et en retira une petite boîte noire qu’il lança négligemment sur le bureau. Personne ne réagit, très surpris. Dors garda simplement un sourire – légèrement moqueur – sur le visage.
Sophie tendit délicatement sa délicate main pour ouvrir la petite boîte et découvrit une paire de boucle d’oreille posée sur du velours noire. Deux longues perles en forme de goutte d’eau – une par oreille – encastrées dans un cône d’argent qui s’affinait et finissait par le crochet.
Sophie eut l’air abasourdie. Killayana fixa intensément Dors, comme si d’un coup il était un étranger, Krane fit un peu la tronche. Et Lucien baissa la tête, silencieusement hilare, marmonnant : « Merde, il m’a pris de vitesse ce con. »
Dors lui montra discrètement son majeur.
Machin qui regardait la scène, toujours sans rien comprendre, songea : « Mais qu’est-ce qu’il se passe bordel ? »
Puis il entendit un « Je n’en sais rien du tout. », suivit d’un « Quoi ? Quoi ? Qui parle » et d’un « Heu ? »
Il s’aperçut subitement que la première voix était inconnue. Une nouvelle voix dans sa tête ?
Il tourna brusquement la tête et vit Franck qui le regardait avec d’énormes yeux stupéfaits.
« C’est toi ? » entendit-il crier en pensées.
« Je crois bien, répondit l’Intello, nous sommes un gestalt. Une unité de pensée, fascinant ! »
« Et merde, on est quatre maintenant. Ce n’est plus une tête, c’est une gare. » fit Dragon.
- Très jolies, dit Sophie. Je dois admettre, que vous avez une manière tout à fait singulière de suivre les traditions. Tout à la fois joliment et avec dédain. Je vais faire apporter à manger, finit-elle en souriant.
- En vérité, c’est un gros chou à la crème, se moqua affectueusement Killayana en le regardant droit dans les yeux.
Il y eu un silence gêné. Et un Dors qui semblait trouver sa chaise subitement inconfortable et qui se tortilla un peu, faisant mine de ne pas remarquer que ses joues s’embrasaient légèrement.
Profitant du silence, Franck et Machin arrivèrent à se détacher du regard. Sans parler, même par la pensée, ils avaient conclus un accord : on verrait ça plus tard. Là, à froid, c’était trop gros.

Re: Le roman

Posté : jeu. 24 déc. 2015, 19:04
par gg
Sophie reposa son téléphone.
-- Voilà. Désolé, ce sera des sandwichs et des petits encas. Viande et poisson. Tous les problèmes sont-ils éclaircis ?
Personne ne leva la main.
- Alors, pour ceux qui ne sont pas au fait des habitudes de la taverne. C’est un lieu de paix. Les combats trop poussés sont interdits. Les combats « amicaux » sont tolérés à la condition que les raisons en soient expliquées à la propriétaire – en l’occurrence, moi-même, précisa-t-elle en souriant - sous peine d’exclusion pour une période indéterminée. Si l’explication est basique, excès d’alcool, de testostérone, de mauvaise journée ou autre, on doit s’acquitter d’une bonne histoire. Par bonne, j’entends un secret, des potins importants… enfin, quelque chose qui a une valeur et qui puisse servir de monnaie d’échange. En priorité en relation avec la bagarre bien sûr. Si je ne trouve pas cela intéressant, on en revient à quelque chose de plus général.
Elle se tourna vers Lucien. Il sourit bêtement.
- Je pense que vous voyez l’idée générale ? lui demanda-t-elle.
- Oui.
- Monsieur Dors ?
- M’en tape.
- Bien. Donc qui va m’expliquer ce qu’il vient de se passer ? Heu… si l’explication est suffisante, elle est valable pour tous. Sinon, je demande un secret pour chaque côté. C’est sans appel.
- Bah… comme d’hab, se lança Krane, tout en se grattant la tête… pas beaucoup de secret en réserve.
- Evidemment, souffla ironiquement Killayana. Je m’y colle.
Elle fut évasive mais assez complète, n’omettant que quelques sujets bien précis : l’importance de la bague, le passé technomancien de Franck, le nom de Thiebaut. Aucune des personnes concernées n’intervint pour corriger…
Cela dura suffisamment longtemps pour que les sandwichs fassent leur apparition.
- Intéressant, conclue Sophie, avec quelques précisions cela sera suffisant. Krane, comment vous êtes vous retrouvé dans cette histoire ?
Elle sortit un filet de poisson de son entourage de pain et le goba comme une otarie de parc d’attraction.
Entre d’énormes bouchés de ses sandwich, il lui expliqua les deux derniers jours.
- Amusant et peu courant, je l’admets, fit Sophie avant de gober un autre filet. Et pourquoi tout le monde s’est-il retrouvé à la taverne ?
- Bah, comme d’habitude, répondit Krane, avoir des info pour décider que faire des deux autres.
- Un peu pareil, admit Killayana, comme je pensais qu’Offman viendrait dans la région, c’est le meilleur endroit pour avoir des informations. La rencontre est tout à fait hasardeuse.
- D’accord, d’accord… hasardeuse… j’espère. En même temps, le destin fait bien les choses, je suis une experte en conciliation. Killayana, pourrais-je savoir exactement : devez-vous le ramener à votre employeur ou l’observer dans son milieu naturel ? Je n’ai pas bien compris.
- On le ramène, intervint Dors. J’en ai ras le bol.
Killayana leva un index : « C’est un peu plus compliqué que ça. »
- Comment ça c’est compliqué… mon contrat d’origine c’était d’assurer son transport, puis de le garder… et maintenant de le suivre ? Ho !
- C’est plus compliqué, réaffirma la demoiselle. Le suivre un temps serait intéressant. Et les ordres ne sont pas de le ramener tout de suite. Après, j’admets qu’on l’a trouvé plus vite que prévu.
Sophie sourit largement.
- Monsieur… Machin ? C’est vraiment étrange comme nom…
- Oui ? dit-il.
- Que souhaitez-vous ? Après tout, vous êtes le premier concerné.
- Je ne veux pas retourner à l’hôpital.
L’Intello s’empara de la bouche : « Excusez-moi d’intervenir, il a du mal à réfléchir. Nous ne souhaitons pas retourner chez le docteur Thiébaut. Oui, je sais, je viens de dire son nom, mais il est tellement désagréable que je m’en moque. Nous souhaiterions nous entretenir avec des personnes pouvant nous expliquer le monde, dans la sérénité et la tranquillité. Sans avoir de surveillance constante. Nous avons besoin d’un temps d’adaptation… »
« Moi, j’veux aller avec les tarés. »
« Et, excusez de l’interruption, nous aimerions finalement rencontrer des membres de notre famille. »
- Monsieur Krane ? demanda Sophie.
- Ouuuais… je peux l’accueillir un temps. Mais je ne peux pas garantir la sécurité de l’humain. Il a des antécédents un peu lourds et j’ai des fortes têtes dans mon clan. Sur le long terme, ça risque de mettre la pagaille.
- Des antécédents ? Monsieur Offman ?
- Ancien SteelHammer de la région, on a dû frapper quelques têtes. Enfin, si vous habitiez déjà ici à l’époque, vous devez connaître. Et je suis un technomancien… enfin, j’étais.
- Ah oui ! Tout de même. Effectivement. Un lourd passif.
De leur côté Killayana et Dors parlaient à voix basse, avec Lucien qui faisait des signes en essayant de comprendre ce qu’ils se disaient.
- Je te dis que je m’en moque, chuchotait Dors. Je m’en tape.
- Je ne suis pas d’accord, ce n’est pas clair. Le côté rat de laboratoire m’ennuie et j’aimerais…
- Excusez-moi, les coupa Sophie. Juste deux secondes. Monsieur Machin, est-ce que vos trois têtes sont en accord ? Vous – désignant Killayana, Dors et Lucien – manifestement pas. Monsieur, Offman, je crois que vous-même ne savez pas trop que faire. Et vous monsieur Krane, vous voulez bien filer un coup de main, mais pas trop et si j’ai bien compris votre duel, vous n’irez pas contre les décisions de mademoiselle Killayana.
- Voilà c’est ça, confirma Krane. J’ai dis à Machin que je l’aidais si possible, je m’y tiendrais.
- Et par rapport à monsieur Dors ?
- Rien à foutre. Pas de duel.
Dors releva brusquement la tête, coupant son dialogue avec Killayana : « Je t’arrange ça quand tu veux ! Tête de nœud. »
- Ah non ! Stop ! Pas de ça ici. Autrement je sévirai.
Killayana posa immédiatement une main sur le genou de Dors, craignant une de ses habituelles vives réactions. Ce ne fut absolument pas le cas, il posa juste délicatement sa main sur la sienne en souriant. Elle fut tentée de la retirer comme si un serpent venait de la piquer, puis abandonna l’idée. Elle enfonça juste un peu ses ongles dans le tissus.
Krane se rassit lourdement en jetant un regard de défi et Lucien s’empara subrepticement du dernier cupcake qui traînait sur le bureau.
- Monsieur Machin ? reprit beaucoup plus calmement Sophie…
- Heu.. c’est un peu le bordel dans ma tête. Nous ne sommes pas d’accord.
- Parfait. Etrangement, je m’en doutais un peu. Voici ce que je propose et j’espère que vous pourrez vous mettre d’accord là-dessus. Temporairement, je propose que monsieur Machin et monsieur Offman choisissent un endroit… avec un groupe ou l’autre… ou je peux proposer une chambre ici, même si cela contrevient mes habitudes. Ceci pour un jour ou deux. Pendant ce temps, j’espère que chacun mettra au clair ses intentions. Que les trois têtes de monsieur Machin se mettent d’accord, que les trois… employés du docteur Thiebaut soient d’accord et que monsieur Krane tâte le terrain avec son clan. Bien sûr, vous pourrez laisser, où que souhaite aller Machin, une surveillance. Cela vous convient-il ? Pas de décision finale ce soir… on prend son temps, on respire et tout le monde est heureux.
Tout le monde se regarda. Personne n’émis d’objection.
- Messieurs, vous souhaitez rester ici, avec Killayana ou avec Krane ?
- Krane ! lança rapidement Dragon
- Ici ! reprit l’Intello
- J’en sais rien, conclut Machin.
Lucien faillit s’étouffer de rire.
C’était bien le seul. Sophie soupira.
- Monsieur Offman, je crois que la décision vous appartient. Après tout, vous êtes le mieux placé pour trancher un conflit d’intérêt entre les trois têtes. Un gestalt…
- Ben, heu… je crois que je vais suivre Killayana. Désolé, madame, mais je les connais depuis plus longtemps que vous. Quant à Krane…
- Pas de soucis, mec. Je mettrais des guetteurs pour que être sûr que ça se passe bien. Des qui en ont rien à foutre de tes origines.
- Monsieur Machin ?
- On n’arrive pas à se mettre d’accord… Alors comme on l’aime bien, d’accord.
- Merci, monsieur Offman. Sachez que si vous changez d’avis et souhaitez revenir ici, je vous accueillerais avec grand plaisir – il fit un signe de la main. Mes amis, je suis très contente que nous soyons parvenu à un accord, même temporaire. Sachez que ce fut un des plus étranges conciliabules auquel j’ai participé. J’espère sincèrement que tout sera plus clair après un moment de réflexion.

Re: Le roman

Posté : dim. 10 janv. 2016, 01:58
par gg
Christophe pestait : « Merde, je suis une wyvern, moi. Fais chier. Rester ici comme un con devant cet immeuble ! »
Et oui, c’était dur. Mais Krane lui avait demandé. Et Krane était le chef. Alors comme toute bonne wyvern il obéissait à celui qui pouvait lui mettre une branlée en cas de contestation. Voilà pourquoi il restait comme un imbécile devant cet immeuble à surveiller le groupe d’abrutis disparates. Son seul réconfort était qu’il se trouvait devant l’entrée, son copain surveillait l’arrière. Et à l’arrière, il n’y avait pas de bar, juste une petite ruelle toute pourrie.
D’ailleurs, à l’arrière de l’immeuble, justement son copain avait approximativement la même réflexion. Avec une légère différence : s’il regrettait le fait de se retrouver dans la rue sans bar il appréciait énormément le fait qu’on lui ait confié cette surveillance. Il montait en grade, on commençait à lui donner des responsabilités. Cela ne faisait que six mois qu’il avait rejoint le groupe de Krane. Avant il était dans un groupe de motards, avec son père. Celui-ci l’avait foutu dehors, il fallait qu’il découvre le monde… Si au début il avait eu un peu de mal, la solitude lui pesait, il avait retrouvé cette chaude ambiance familiale avec Krane. Cela plus d’autres petites choses qui l’avaient surpris : le mélange des races, le fait de rester sur place pendant longtemps qui permettait de se faire des copains en dehors du groupe, d’avoir une relation stable avec sa copine, fréquenter des êtres magiques… Finalement, il était bien content, se disait-il appuyé contre le lampadaire qui éclairait son bout de rue et la porte pare-feu de l’immeuble.
Ses pensées heureuses furent soudainement beaucoup moins heureuses, un bras venait de s’enrouler autour de sa gorge et lui pressait la tête contre le lampadaire. Instinctivement il essaya de se décoller du poteau métallique, mais le bras était puissant. Ce qui voulait dire qu’en fait il était très puissant, puisqu’en tant que wyvern il était bien au-delà de la force d’un humain, même costaud.
Si durant les deux trois premières secondes il ne paniqua pas, après ce ne fut pas la même chose. Il commençait réellement à s’apercevoir que vivre sans respirer était chose difficile. Il frappa autant qu’il le put en arrière, il essaya de crier. Rien n’y fit, il était bloqué dans un véritable étau. Il vit la lumière vaciller au sol, ses efforts secouaient le poteau avec vigueur. Il y eut un craquement au niveau de sa gorge, puis un voile noir lui tomba sur les yeux.
James continua à serrer encore quelques bonnes secondes. L’homme avait fait preuve d’une force anormale, moins que la sienne, mais tout de même. Il valait mieux être certain. Finalement il le laissa tomber mollement au sol.
James regardait le duo, d’un peu plus loin et dans l’ombre. Le guetteur avait fait une erreur, se mettre en pleine lumière sous un lampadaire pour sa surveillance. Il ne voyait rien, ses yeux étaient acclimatés à la lumière et il ne percevait quasiment rien de ce qu’il se passait dans l’ombre. Quand il vit le corps tomber, James sortit de l’ombre et alla rejoindre James.
Il s’approcha sans un mot de la porte et passa un instrument que Q lui avait remis sur le pourtour. L’engin bipa en haut à gauche : une alarme. Il sortit de sa poche un petit pulvérisateur à parfum et aspergea la zone. Q lui avait affirmé que cela neutralisait les alarmes. Il avait une confiance aveugle en Q. Il vit la petite lueur bleue qui se dégageait du produit, c’était le signe qu’il pouvait y aller. Il prit appuis contre la porte et poussa de toutes ses forces. Dans un claquement sec, le pêne et deux autres points cassèrent, la porte s’ouvrit en grand.
James qui le regardait en portant le corps, le suivit quand James s’engouffra dans l’ouverture. A peine passé la porte, il déposa le corps et repoussa la porte. De l’extérieur on ne voyait quasiment rien. Il fallait avoir le nez dessus pour s’apercevoir que la porte et son chambranle étaient légèrement tordus.
A l’avant de l’immeuble, simultanément, Christophe se prit une balle en pleine tête… sans bruit. James qui se trouvait juste à côté se précipita pour soutenir le corps avant qu’il ne touche terre. Puis soutenant le cadavre comme s’il était son ami en train de cuver, il se dirigea vers l’entrée de l’immeuble. Au passage, il fut rejoint par James qui rangeait discrètement son pistolet équipé d’un long silencieux.

Un peu plus tôt dans la soirée, le groupe entra dans l’appartement. Le trajet depuis la taverne avait été bien silencieux – hormis quelques borborygmes de Machin, ou de Dragon ou de l’Intello qui se disputaient encore.
Mais dès qu’ils furent entrés, Dors ne put se retenir.
- Mais pourquoi ? Pourquoi ?
- Pourquoi quoi ? rétorqua Killayana en souriant.
- Tu sais très bien. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pourquoi on s’emmerde ? On le prend, on l’embarque, on le ramène chez Thiébaut et basta.
- Je suis assez d’accord, remarqua Lucien en s’asseyant dans le canapé.
- Je n’aime pas le comportement de Thiébaut. C’est quelque chose qui me hérisse au plus haut point.
Dors fronça les sourcils : « Tu es une tueuse … ou au moins une voleuse internationale, et tes principes font que non non c’est pas bien… »
- Oui, mon cher, j’ai des principes. Je déteste qu’on fasse du mal à des enfants, je déteste qu’on remette un orphelin à un médecin qui fait des expériences sur lui. Je déteste qu’on ne lui fasse pas rencontrer sa famille, qu’on ne lui donne pas un foyer. Ça te va ?
Pour une fois, la voix n’était pas douce, ni charmante, juste passionnée. Dors sentit une conviction profonde, quelque chose qu’elle ne montrait jamais. Elle montrait une part d’elle-même pour la première fois.
- Attends… tu étais au courant quand on t’a embauchée. Tu ne vas pas faire ta mijaurée maintenant, ne put-il cependant s’empêcher de dire. Tout en le regrettant à l’instant.
De son côté Lucien fit la grimace en entendant Dors. Ça allait partir en vrille cette histoire.
Killayana jeta un regard noir à Dors.
- Je n’étais pas au courant, dit-elle assez glaciale. Je devais juste protéger. Sur ce, continua-t-elle en levant un index pour couper court, je vais faire à manger. J’ai besoin de réfléchir… et me calmer.
Elle regarda Franck et Machin qui restaient devant l’entrée.
- Vous ! Suivez-moi, je vais vous montrer votre chambre.
Ne sachant que faire, ils obéirent.
- Tu merdoies dans les grandes largeurs, dit calmement Lucien à Dors quand ils furent seuls.
- Je sais, je sais, soupira celui-ci. Elle m’énerve.
Killayana revint dans la pièce. Sans même jeter un œil, elle passa dans la cuisine. Puis il y eut un bruit de vaisselle.
- Elle est bizarre tout de même cette fille, dit Lucien en souriant. Vous faites la vaisselle ou vous préparez quelque chose à manger ? cria-t-il. J’ai une petite faim, moi.
Le bruit s’arrêta. Killayana apparut sur le pas de la cuisine. Des éclairs seraient sortis de sa chevelure ondoyante, personne n’en aurait été étonné.
- Ce n’est pas moi, c’est lui, s’écria Lucien en pointant Dors du doigt. Il a toujours faim.
- T’es con ! ça va pas ? s’écria Dors.
- Oh ça va ! Si on ne peut plus rigoler.
Légèrement désarçonnée, Killayana les fusilla du regard. Ces deux imbéciles…
Un instant ses pupilles devinrent deux fentes étroites.
Dors qui se tenait en face les vit distinctement changer de forme.
- Putain ! s’exclama-t-il. Tu es une dragonne.
- Hein ? lança Lucien de son fauteuil.
- Ses yeux, elle a des yeux de dragon. Un regard vertical.
- Quelle race ? Elle doit être colère…
- Ben, juste avec les yeux… j’ai un peu de mal.
Immédiatement la tension retomba. Les pupilles de Killayana reprirent forme humaine.
- Vous êtes vraiment… vraiment… je ne sais même pas que dire… bafouilla un peu la jeune femme. Je ne suis…
La porte s’ouvrit sur Léa.
La jeune femme se tenait là, grognant légèrement.
- Ça va, Léa. Ce n’est rien. Ils m’ont juste beaucoup énervée.
- Je n’arrive pas à m’y faire, geignit Lucien de son canapé.
Dors regarda Léa. Lui non plus il n’arrivait à s’y faire. Elle était vraiment ressemblante, mais la colère qu’il ressentait chez cette jeune femme tenait plus de l’explosion de rage pure. Au moins chez Killayana il voyait toujours quelque chose d’humain, une volonté de ne pas se laisser aller. Alors que chez Léa… cela tenait plus de la folie.
- Tu peux entrer, lui dit Killayana. Je vais préparer à manger. Puisqu’il parait qu’il y a des ventres affamés dans cet appartement, finit-elle en regardant lourdement Lucien.
Léa glissa dans l’appartement. Elle aussi avait le pas félin, mais différent de celui de sa sœur. Chez Killayana c’était feutré, léger et agile, chez Léa c’était puissant et lourd. En passant près de Dors, elle le regarda bien en face. Elle aussi avait les pupilles fendues. Elle grogna.
C’était rare, uniquement dans sa famille ou chez certains noirs, une aura de peur. Un frisson parcouru sa colonne vertébrale et il recula d’un pas.
- Arrête ! insista Killayana. Je t’assure que tout va bien.
Les pupilles s’arrondirent. Elle lui fit un horrible sourire carnassier. Et sans prévenir bondit. Littéralement. Elle sauta la distance qui la séparait du canapé pour atterrir juste à côté de Lucien. Celui-ci eut tout juste le temps de tressaillir. Le mouvement avait été si soudain et si souple que personne ne l’avait vu venir.
- Mais ?
Elle se colla à lui. Comme un enfant qui retrouvait son doudou.
- Qu’est-ce qu’elle fait ? geignit le pauvre dragon.
- Rien, s’amusa Killayana. Pour une raison inconnue elle semble bien t’aimer. Ne t’inquiète pas.
- Et je fais quoi ? demanda-t-il.
- Tu ne l’énerves pas. Si je peux être un peu en colère de temps en temps quand des imbéciles me titillent, ce n’est rien comparé à elle. Soit gentil, elle a un peu de mal à s’exprimer. Pour l’instant elle est perturbée par mes émotions.
Léa se roula en boule sur le canapé et posa sa tête sur les cuisses de Lucien. Il était tétanisé.
- Elle n’est pas un peu… commença Dors.
- Autiste, le coupa rapidement Killayana. Elle l’était, ça va beaucoup mieux.
Elle le regardait comme un vieux chewing-gum. Plus froide qu’à son habitude.
- Nous avons eu une enfance difficile. Si jamais tu lui fais du mal, je te tuerais, dit-elle simplement à Lucien.
- Pas de souci. Je ne fais jamais de mal aux demoiselles. De mon plein gré en tous cas.
Il gardait les mains en l’air sans savoir qu’en faire.
Killayana jeta un dernier regard noir à Dors, puis retourna dans la cuisine.
Les deux hommes restèrent immobiles un instant. Lucien les mains en l’air et Dors planté comme un con au milieu de la pièce.
- Elle aussi elle a les pupilles fendues, finit par dire Dors.
- En même temps, elles sont sœurs, remarqua Lucien en reposant délicatement ses mains, une sur l’épaule et l’autre sur la chevelure.
Léa ne dit rien, elle remua juste un peu pour se caler encore un peu mieux.
- Elle a une aura de peur, continua Dors. Comme ma famille ou les noirs.
- Blanches, j’ai un doute. Mais noires, ça pourrait correspondre. En plus avec leur profession…
- Sauf qu’autant que je sache, ça n’arrive que sous forme de dragon.
- Ah ! En même temps je me suis toujours demandé à quoi ça pouvait servir sous cette forme… quand on voit la gueule que vous avez, si on n’a pas les chocottes quand une grosse gueule écailleuse vous gueule dessus… avec des crocs de dix centimètres qui bavent... Personnellement, ton grand-père n’a pas besoin d’un pouvoir pour que je fasse dans mon slip. Ni Gupta d’ailleurs. Ils n’ont même pas besoin d’être sous leur forme de dragon.
- Tu les connais ? s’étonna Dors.
- Ben, heu… non ! Disons que je les ai croisés une fois. A une réunion du Conseil. Tu penses que si un blanc et une noire nous font un petit ça donnerait un gris ?
- Vous savez que je vous entends ? lança Killayana de la cuisine.
- On sait, répondirent-ils en coeur.